Page:Revue des Deux Mondes - 1898 - tome 147.djvu/918

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

de la morale, la religion positive, constituée, ne pouvait perdre que dans la mesure où, au lieu d’être vraiment religieuse, elle serait simplement ecclésiastique ; où, pétrifiée dans ses formules, ses rites, ses pratiques, son histoire surnaturelle, elle serait incapable de s’adapter à un nouvel état de culture intellectuelle et d’activité sociale. » Ce n’était donc point leur faute, à eux, si une Eglise immuable, tutrice spirituelle du pays dont ils devenaient les éducateurs, se sentait gênée ou diminuée par le nouvel enseignement de la morale ; et, s’il advenait, par malheur, comme l’a depuis lors constaté M. Fouillée, que cette innovation scolaire démentît certaines espérances optimistes, il importait d’affirmer à l’avance que la cause n’en devrait point être cherchée dans les défauts mêmes de l’innovation, mais dans notre tempérament, dans nos traditions, dans notre formation catholique héréditaire. « Le catholicisme, écrivait M. Pécaut, en excluant les laïques de toute ingérence dans le dogme et dans le culte, en les habituant durant des siècles à se décharger sur l’Eglise, c’est-à-dire sur le prêtre, du soin de définir la doctrine, d’enseigner la morale, d’interpréter les écritures, de remplir les fonctions sacrées, de gouverner le for intérieur, les a mal préparés à manier pour leur compte la langue des choses de l’âme. » Et M. Pécaut ne faisait point une digression oiseuse, mais il donnait la suite logique de ses idées, lorsque, dans ses notes d’inspection générale, adressées à M. Spuller en 1894, il formait le vœu qu’un jour, « la France, sous les auspices de la libre pensée et non plus de l’autorité dogmatique, retrouvât le sens et la saveur de l’antique tradition chrétienne, depuis longtemps et de plus en plus oubliée ». C’est dans un rapport officiel que M. Pécaut ébauchait ce lointain programme de rénovation religieuse dont l’accomplissement couronnerait le succès de notre œuvre scolaire laïque.

Il devenait naturel, dès lors, que les initiateurs de cette œuvre accordassent une confiance spéciale aux esprits hardis qui, par leur propre élan, devançaient la rénovation religieuse : tel, par exemple, ce directeur d’école normale auquel M. Pécaut, en 1888, rendait, dans la Revue pédagogique, un bien instructif hommage. « M. Goy, disait M. Pécaut, était porté, dès la première heure de sa vie intellectuelle, avoir les choses par le dedans, mieux encore, à leur source première, au sein du tout dont elles font partie, et c’est par-là qu’il a toujours été religieux jusqu’à la moelle, si c’est être religieux que de rattacher sa pensée, son âme entière et sa