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vieil Evangile, une religion laïque de l’idéal moral, sans dogmes, sans miracles, sans prêtres. Jules Steeg était alors un jeune et obscur pasteur protestant. » Obscur, non ; on le connaissait déjà comme un libre penseur religieux ; il s’était placé du premier coup à l’extrême gauche de la théologie protestante. C’est à lui que M. Pécaut avait songé pour la conduite de la petite et hardie Eglise libérale qui s’organisait dans la Suisse française. » M. Buisson, de son côté, publiait à cette époque, sur le christianisme libéral et sur l’enseignement de l’histoire sainte, des opuscules oubliés aujourd’hui : ils fourmillaient d’audaces voulues ; et ces audaces, resplendissant à travers le miroir de l’éloquence, éblouissaient désagréablement les pasteurs orthodoxes.

Il était réservé à ces trois missionnaires de présider à l’élaboration et à l’exécution de nos lois scolaires : la Suisse les rendit tous trois à la France. M. Buisson et M. Steeg prirent une part importante à la discussion de ces lois : le premier devint directeur de l’enseignement primaire et l’est resté jusqu’à l’avènement du cabinet Méline ; le second fut tour à tour directeur du Musée pédagogique et de l’Ecole de Fontenay ; et le troisième, M. Pécaut, comme inspecteur général de l’Instruction publique, dirigea la réorganisation de toutes nos écoles normales.

Rien ne permet de dire qu’ils aient varié ; tels ils étaient en 1869, tels ils sont restés. Mais, entre 1869 et 1898, leur terrain d’action est devenu plus large, plus difficile aussi : ils travaillaient, en 1869, dans un pays protestant et sur des fidèles protestans ; ils ont travaillé, depuis lors, dans un pays catholique et sur une enfance catholique. M. Pécaut écrivait en 1879 : « L’œuvre de sécularisation morale que les sociétés catholiques n’ont pas accomplie au XVIe siècle par voie de réforme ecclésiastique ou religieuse, les sociétés catholiques tentent de la faire par voie de réforme scolaire. Ceux-là mêmes qui jugent une telle réforme insuffisante ne peuvent refuser d’y concourir. » Il semblait que la nouvelle politique scolaire fût comme une amende honorable de la France à l’endroit du protestantisme, dont nos ancêtres avaient méconnu le prix ; aussi M. Pécaut et ses amis prodiguaient-ils leur concours.

Ils eurent la douleur d’être mal compris. On les qualifiait d’irréligieux, comme si leur vie entière, vouée au service d’une aspiration religieuse, ne s’insurgeait point contre une telle épithète. On les accusait de mettre en péril la religion positive, et, depuis lors, M. Pécaut a répondu : « A un enseignement régulier et laïque