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sûre : les instituteurs seraient ces colons. « Vous ne me laisseriez pas dire, déclarait-il, le 19 avril 1881, au Congrès pédagogique de Paris, qu’il ne doit y avoir dans l’enseignement primaire, dans votre enseignement, aucun esprit, aucune tendance politique. A Dieu ne plaise ! pour deux raisons : d’abord, n’êtes-vous pas chargés, d’après les nouveaux programmes, de l’enseignement civique ? c’est une première raison. Il y en a une seconde et plus haute, c’est que vous êtes tous les fils de 1789. Vous avez été affranchis comme citoyens par la Révolution française, vous allez être émancipés comme instituteurs par la République de 1880 ; comment n’aimeriez-vous pas et ne feriez-vous pas aimer dans votre enseignement et la Révolution et la République ? Cette politique-là, c’est une politique nationale. » M. Ferrouillat, rapporteur de la loi scolaire devant le Sénat, protestait à son tour, le 4 février 1886, que la neutralité politique de l’instituteur serait « une abdication, une désertion de la volonté du pays ».

Ainsi, la République exigeait le renfort du maître d’école ; mais elle lui rendait appui pour appui ; et il pouvait compter sur elle, comme elle voulait compter sur lui. A l’aurore de leur puissance, MM. Paul Bert, Ferry, Goblet, réclamaient qu’il fût nommé par ses chefs naturels, les autorités universitaires : des projets de loi, même, furent déposés à cet effet. On les oublia brusquement ; après avoir âprement critiqué les paragraphes de la loi de 1854 qui concernaient la nomination des instituteurs, on finit par s’en inspirer et presque par les calquer ; et, — malgré l’effort de certains membres du parti radical, comme MM. Dide et Barodet, — MM. Paul Bert, Ferry, Goblet, remirent les maîtres d’école à la discrétion des préfets. C’est par des motifs politiques qu’ils justifiaient leur résipiscence. « Il y a dans tout village, disait M. Paul Bert, une lumière, et une bouche pour l’éteindre. La lumière est l’instituteur, la bouche est la cure. L’heure n’est pas venue de donner satisfaction aux principes. Il convient de placer derrière l’instituteur un fonctionnaire autorisé, vigoureux, énergique. » En un style moins imagé, M. Ferrouillat expliquait, le 16 février 1886, que, pour échapper à certains servages, l’instituteur avait besoin d’un défenseur, le préfet : « Les lois nouvelles sur l’instruction, ajoutait-il, traversent en ce moment ce que j’appellerai la période politique ; et il faut que la garde en soit confiée à un agent politique. » On opposait au spectre clérical l’uniforme du préfet, épouvantail plus efficace, semblait-il, que la toge du recteur ;