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sans effort, elle s’est transportée dans le camp des radicaux, et sous les drapeaux, parfois plus rouges que tricolores, d’une république qualifiée de « vraiment républicaine ». Or, c’est en constatant que la République sans épithète était le gouvernement national, et en alléguant les intérêts de l’union civique et de l’harmonie entre les Français, que Jules Ferry et ses disciples avaient demandé à l’école nationale d’être une école républicaine, et républicaine sans épithète. Mais au moment où, dans la République victorieuse, la « concentration » est brisée, nous cherchons en vain de quelles raisons d’union et d’harmonie on pourrait encore se couvrir pour autoriser ou pour inviter l’enseignement primaire à devenir l’instrument du radicalisme. Peut-être l’étude des origines historiques de ce phénomène, de ses causes immédiates et de ses résultats poussera-t-elle à la recherche d’un remède les hommes qui, de par leurs fonctions, auraient le droit de l’appliquer. Nous n’avons d’autre dessein que de suivre rapidement cette périlleuse évolution : à eux de conclure, s’ils le veulent ; à eux d’agir, comme ils le voudront.


I

Dès le lendemain du Seize Mai, entre l’école primaire et la République une alliance fut cimentée : M. Jules Ferry y attacha son nom. La République promettait de protéger l’instituteur contre les influences, municipales ou confessionnelles, qu’il signalerait comme une gêne ; et l’instituteur était invité à défendre la République contre les courans d’opinion qu’elle dénoncerait comme un péril. Au Sénat, le 10 décembre 1879, M. Ferry se félicitait que la loi de 1850 eût laissé à l’enseignement primaire un caractère municipal : « Je trouve cela très bon, affirmait-il ; je ne voudrais pour rien au monde rompre le lien intime qui associe la vie communale aux destinées de l’enseignement primaire. » À cette date, il soutenait contre les droites la liberté qu’avaient les communes de laïciser l’instruction. Peu d’années s’écoulaient, et M. Ferry collaborait à la loi nouvelle qui dérobait l’école primaire à l’ascendant des municipalités et qui refusait aux communes la liberté, réclamée par les droites, de conserver un enseignement confessionnel. C’est au nom de l’intérêt supérieur de la République qu’il agissait ; il voulait en effet que, dans les bourgades hostiles ou indifférentes, elle possédât des colons dont elle serait