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de 4 pour 100, — au point de vue de l’alimentation, à ce qu’elle était de 4200 à 1600.

Mais, ainsi envisagée et condensée en une moyenne applicable à quatre siècles, la comparaison des salaires aux dépenses de table des ouvriers ne signifierait pas grand’chose. Cette moyenne a précisément pour effet de masquer les fluctuations des prix que nous venons d’étudier, d’effacer les inégalités énormes, révélées par l’histoire des chiffres, entre les générations qui se sont succédé de saint Louis à Henri IV. Ces ancêtres, du moyen âge à la Renaissance, comparés en bloc à nos contemporains, semblent en différer fort peu, parce que le bien-être des prolétaires du XVe siècle vient contre-balancer la misère de ceux du XVIe. Additionner la richesse des uns et la pauvreté des autres, c’est proprement aller contre le but pratique de ces recherches, qui se flattent de recueillir, sur les variations du salaire et sur les causes de ces variations, le grave et précieux témoignage d’un passé digne des méditations du présent.

Ce témoignage nous apprend ici que, sous le rapport de la nourriture, l’homme de labeur des XIIIe et XIVe siècles était plus aisé que le journalier actuel de 3 à 6 pour 1 00 — suivant les dates ; — que cette aisance s’améliora dans les cent années suivantes, au point que l’ouvrier de 1451-1475, — dont les gouvernemens d’alors ne paraissent pas s’être beaucoup préoccupés, — était devenu plus riche d’un tiers (33 pour 100) que notre ouvrier moderne ; enfin que, peu après, la gêne commença pour lui et grandit si vite et si fort qu’en 1576-1600 ce salarié arrivait à être plus pauvre des deux tiers (60 pour 100) que son successeur de 1898. Cette révolution, funeste pour la grande majorité des citoyens, n’eut pas, comme on serait tenté de le croire, une cause politique. Les troubles religieux, les guerres intestines n’y avaient point de part. La preuve c’est que les mêmes phénomènes, aux mêmes époques, se produisent en Angleterre et en Allemagne ; la preuve aussi c’est qu’en France le paysan ne se releva plus de sa déchéance matérielle, non seulement jusqu’à la fin de la monarchie, mais même jusque vers le milieu de notre XIXe siècle.


Vte G. D’AVENEL.