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maintenant au consommateur. La presque-totalité du sel venait, au moyen âge, des marais salans, et les frais de port étaient considérables, depuis la Provence ou l’Aunis jusque dans l’intérieur du royaume. Des 6 millions de quintaux que la France produit à l’heure actuelle, près de moitié se compose du sel gemme des départemens de l’Est ; 2 800 000 sont fournis par la Méditerranée et 30 000 seulement par les salines de l’Océan. Jusqu’au XVIe siècle, même dans les provinces limitrophes de la Franche-Comté et de la Lorraine, le sel de mer était seul employé, à l’exclusion du sel de salins ou, comme on disait, « d’Empire ». Le raffinage du sel minéral demeura d’ailleurs assez longtemps rudimentaire ; sa « cuite » était onéreuse.

La taxe sur le sel avait été établie en France au commencement du règne de Philippe le Bel (1286) ; elle doubla aussitôt la valeur de cet aliment et parfois la tripla. Le garde du salin d’Agen devait jurer, en entrant en charge, de ne vendre le sel « que le triple de ce qu’il l’avait acheté ». Plus tard la différence fut du quadruple : à Orléans, au XVe siècle, le sel « franc » se cotait 3 centimes le kilo, le sel imposé 13 centimes. Il montait ailleurs à 17 centimes et jusqu’à 24 centimes à Paris, lorsque, à l’île d’Oléron, lieu de production, il ne se payait pas plus de 4 centimes, à peu près le même chiffre qu’en Angleterre. La cherté de cette denrée qui représentait, en monnaie de nos jours, 1 fr. 25 le kilo, explique la présence, dans les comptes d’établissemens publics et de particuliers, d’une gratification annuelle « au mesureur de sel, pour faire bonne mesure ». A la fin du XVIe siècle, le sel était arrivé au prix inouï de 62 centimes intrinsèques, les quatre cinquièmes de la journée du manœuvre qui n’en gagnait par jour que 1 250 grammes ; tandis qu’en 1898, il en gagne dix fois plus : 12 kilos et demi. Durant les siècles précédens la journée de travail, évaluée en sel, correspondait, suivant les époques, à 4, 5 ou 7 kilos. Pour retrouver, entre les prix de cette marchandise et le taux des salaires, une proportion qui se rapproche de celle d’aujourd’hui, il faut remonter jusqu’à la période antérieure à la guerre de Cent ans.


VII

Resterait à tirer de l’ensemble de ces chiffres l’enseignement qu’ils comportent.