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chapitre si important de l’alimentation, quatre fois moins riche alors que notre ouvrier contemporain.


III

En admettant qu’un laboureur ou un artisan consomme journellement un kilo de pain, soit environ 500 litres de blé par an, il aurait eu à peine, avec la valeur des 475 litres restant sur sa paie disponible, de quoi se vêtir, se loger, s’éclairer. Encore eût-il dû se contenter de pain sec et d’eau fraîche. Même, ce pain de froment lui aurait manqué, s’il avait eu la charge d’une famille ; puisque la femme de la campagne, qui mange à peu près autant de pain que l’homme, gagne moitié ou un tiers de moins, et que les jeunes enfans, qui ne gagnent rien, ou très peu de chose, ont un appétit très exigeant. Le manœuvre se contentait donc de pain de méteil, de seigle, d’orge, de sarrasin, de millet et, dans les mauvaises années, de pain d’avoine. Toutes les farines étaient mises à contribution.

Le rapport des prix de ces grains entre eux variait d’une année à l’autre, suivant le plus ou moins d’abondance du froment. Proportionnellement à ce dernier, le seigle se trouvait en général beaucoup plus et l’avoine beaucoup moins chère que de nos jours. L’avoine dut être, dans les périodes cruelles, la ressource des pauvres gens. C’est à elle que les ventres affamés avaient recours. Quand le blé est à bon marché, l’avoine coûte le tiers ou la moitié de cette céréale ; quand il augmente, elle ne le suit que de loin ; elle ne vaut plus que le quart ou le cinquième du froment.

C’est ce passage constant d’une farine à l’autre qui m’a obligé à ne tenir compte que des cours du grain non moulu et à négliger les prix du pain. Avec le blé, chacun sait de quoi l’on parle ; avec le pain, on l’ignore. Au moyen âge, et dans les temps modernes jusqu’à la Révolution, l’autorité municipale taxait non pas le prix, mais le poids du pain. La miche se vendait pour une somme invariable et s’allégeait ou s’alourdissait suivant que le blé montait ou baissait de prix. Mais, quand le boulanger, tout en continuant à vendre chaque pain le même prix, diminuait son poids de moitié ou davantage, l’ouvrier, qui ne pouvait ni en acheter le double, ni se contenter d’une quantité insuffisante, se résignait à un changement dans son ordinaire. Le besoin faisait passer son pain par une gamme de tons de plus