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l’hectolitre était un prix de famine, puisqu’il représente 50 de nos francs de 1898.

Il est bon de toucher ici du doigt la vieille erreur où sont tombés tant d’écrivains, en affirmant que « le blé, de tout temps, s’est équilibré à la population et à ses besoins. » Le blé, disait l’un d’eux, le comte Garnier, au commencement de notre siècle, est la mesure naturelle des salaires ; sur cette mesure se règle le prix du travail, qui est lui-même l’élément primitif de toutes les valeurs échangeables… » Deux propositions également fausses. Adam Smith avait pensé que le criterium de la valeur relative de l’argent pouvait être cherché dans le travail, réduit à sa plus simple expression : le salaire du manœuvre. Mais le prix du blé ne détermine ni le taux des salaires, ni la valeur des métaux. Chacune de ces marchandises, — argent, travail, denrées, — hausse et baisse tout bonnement selon qu’elle est plus ou moins offerte, plus ou moins demandée.

Le rapport de l’argent avec le blé n’est pas du tout semblable au rapport de l’argent avec les salaires ; selon qu’on s’appuierait sur l’une ou sur l’autre, on trouverait des coefficiens très différens ; parce que tantôt le grain coûtait six fois moins cher qu’aujourd’hui, pendant que les salaires étaient seulement quatre fois moindres que les nôtres ; tantôt les salaires étaient le tiers de ce qu’ils sont aujourd’hui, pendant que le grain coûtait le même prix qu’à l’heure actuelle. Les variations respectives du blé et des salaires sont rendues aisément saisissables par l’évaluation, en froment, du gain annuel des journaliers.

Le travailleur manuel se procure aujourd’hui, avec les 750 francs que produisent ses 300 jours de labeur, 37 hectolitres et demi de froment. Le même travailleur, avec les 125 francs, équivalant aux 250 jours de son année « servile », en obtenait 30 hectolitres sous saint Louis, il n’avait plus que 23 hectolitres sous Philippe le Bel. Au XIVe siècle, il gagnait successivement 19 hectolitres (1301-1325), montait à 30, puis à 42 hectolitres, au commencement du règne de Charles VI (1376-1400), pour redescendre à 24 dans le demi-siècle suivant. Au contraire, de 1451 à 1525, le manœuvre gagne 46 hectolitres, puis 36 hectolitres et demi par an. Sa situation est donc meilleure, à tout le moins égale à ce qu’elle est en 1898. Mais cette ère fortunée ne dure pas. En 1526-1550, il ne se procure plus que 25 hectolitres, puis 15 seulement en 1551-1575, enfin neuf hectolitres trois quarts en 1576-1600. Il est donc, sur ce