Page:Revue des Deux Mondes - 1898 - tome 147.djvu/852

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

acheter aujourd’hui avec la même somme. Cela est vrai en moyenne et d’une façon générale ; mais non pas pour toutes les classes de la société : pendant les vingt-cinq années qui séparent la mort de Charles IX de la proclamation de l’édit de Nantes (1574-1598), les salaires furent trois fois plus bas que ne sont les nôtres, tandis que l’hectolitre de blé se vendit un prix identique à celui de maintenant.


I

« Par l’effet de l’offre et de la demande de bras, disait une ancienne théorie, le salaire se réduit en général à ce qui est indispensable à l’ouvrier pour vivre et se perpétuer. Il ne peut être beaucoup au-dessus de ce niveau parce que l’aisance, en augmentant la population, diminue les salaires ; il ne peut non plus tomber au-dessous, car la gêne et la famine, diminuant le nombre des bras, font remonter le taux de leur rétribution. » Or il n’est pas vrai que l’aisance fasse nécessairement augmenter la population, ni que la gêne la fasse diminuer. Il est, de par le monde, des populations aisées dont le chiffre demeure presque stationnaire, — la France est de ce nombre ; — il y a de même des populations prolifiques et grossissantes, quoique extrêmement dénuées. En certains pays, comme l’Espagne, les salaires demeurent très bas, quoique la population soit très faible ; en certains autres, comme l’Irlande, la population demeure très dense, quoique les salaires soient très bas.

J’entends ici les salaires réels, c’est-à-dire comparés au prix de la vie. De ce que les ouvriers gagnent au Japon 45 à 50 centimes par journée de douze heures, tandis qu’ils gagnent en Australie 9 à 14 francs par journée de huit heures, il ne s’ensuit pas pour cela que le travail soit vingt fois mieux payé en Australie qu’au Japon, attendu que la « puissance d’achat de l’argent » est moindre dans le premier pays que dans le second. Mais cette puissance n’est peut-être que trois ou quatre fois plus élevée au Japon qu’en Australie, tandis que les salaires y sont vingt fois inférieurs. D’où l’on peut conclure que la situation y est quatre ou cinq fois moins avantageuse, pour les prolétaires, qu’elle ne l’est en Australie. En Chine, où le manœuvre, non nourri ni entretenu, reçoit environ 70 centimes par jour, tandis que, défrayé de tout, il ne touche que 10 à 15 centimes, la partie du salaire absorbée par