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Decazes et de Gouvion-Saint-Cyr. Pas plus que le Roi ne voulait qu’il y eût deux peuples en France, ils ne voulaient qu’il y eût deux armées. Il fallait n’en faire qu’une, et, en la traitant avec égalité, avec justice, lui inspirer cet amour de la royauté, ce sentiment du devoir qu’elle ne professait pas encore suffisamment au gré de Richelieu. Ce qu’ils pensaient à cet égard se trouve exposé avec une netteté lumineuse dans une des réponses de Decazes. Après avoir reçu du Roi la communication de la lettre qui contenait le récit de l’entrevue du président du Conseil avec l’empereur Alexandre, il écrivait :

« Je n’ai pas besoin de vous fournir des argumens sur notre véritable situation. Mais il est certain que le danger n’est pas du côté des militaires habitués à se soumettre au pouvoir et bien traités maintenant. Ils se rallient au grand nombre ; ils ne veulent pas de république et d’anarchie ; le sort des généraux de la république ne les tente pas du tout. Les titres, les honneurs, la pairie, leur sourient bien davantage, et pas un ne se soucie d’être le citoyen général. Il en est de même des simples officiers. Mais, ils sont bonapartistes ? Non, parce qu’ils ont vu Bonaparte les abandonner deux fois à leur destinée et qu’ils sentent tous que son règne est fini. Celui des idées libérales est incompatible avec le sien. Ils aiment mieux, — et tous seront nécessairement amenés à ce sentiment, parce que c’est leur véritable intérêt, — ils aiment mieux une monarchie libérale.

« Ce que pensent les militaires, sauf quelques mauvaises têtes, la France entière, même ce que l’on appelle la France révolutionnaire, le pense ou doit arriver à le penser. Quand chacun se sera dit ou pourra se dire : — Où trouverions-nous plus de liberté, plus de sûreté, plus de garanties pour nos personnes et nos propriétés ? et que la réponse aura été nécessairement que tout cela existe plus qu’à une autre époque, et plus que sous aucun autre règne on n’en pouvait avoir, est-il possible que tout ce qui a intérêt à l’ordre et à la propriété ne soit pas éloigné des révolutions et des changemens ? Otez la Minerve et le Correspondant électoral de nos affaires, ne paraîtront-elles pas à tout le monde admirables ? Aucun pays au monde aura-t-il joui de plus de calme ? Or, nous serions assurément des enfans, si deux mauvais pamphlets pouvaient nous faire prendre le change sur notre position. De tels inconvéniens sont la conséquence immédiate de la liberté de la presse ; ils doivent occuper les esprits, les rendre plus