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d’État[1]. Ainsi, en toute occasion, il se révèle égal à lui-même, indomptable dans sa volonté de faire respecter les hommes d’État qu’il a investis de sa confiance et, avec eux, les résolutions qu’ils croient devoir lui proposer et qu’il a approuvées.

Une de ces résolutions a trait à la garde nationale dont Monsieur est colonel général. A la faveur de ce commandement, le prince exerce par tout le pays un pouvoir occulte qui contrecarre souvent la marche du gouvernement. Le ministère se plaint d’être combattu de la sorte. Le Roi n’hésite pas. Ses ministres consultés, il prévient son frère qu’une ordonnance va placer la garde nationale dans les attributions du ministre de l’Intérieur. Monsieur jette feu et flamme, adjure et supplie ; il menace de protester publiquement. Mais le Roi tient bon. Le 2 octobre, il écrit :

« Ainsi que je vous l’ai dit, mon cher frère, l’affaire de la garde nationale a été de nouveau discutée mercredi et nous sommes tous demeurés d’accord que l’ordonnance était indispensable, parce que, dans une constitution qui impose la responsabilité du ministère, il est impossible qu’une institution quelconque et surtout une si importante ne soit pas sous l’autorité directe et unique d’un ministre… Ma raison est donc satisfaite ; mon cœur n’en gémit pas moins de la peine que j’ai lue dans le vôtre. Mais j’ai dû, et ce n’est pas la première fois que je me trouve dans cette triste nécessité, lui imposer silence. Je vous connais trop pour ne pas croire que vous sentirez la puissance des motifs qui m’ont déterminé et espère que vous ne ferez rien qui ajoute au chagrin que je ressens. »

Monsieur se soumet ; mais c’est de mauvaise grâce. Il quitte l’uniforme de colonel général de la garde nationale. Il n’en exercera plus les fonctions. Il accuse les ministres de vouloir lui enlever ses chances au trône. Il va répétant partout que ce trône est ébranlé par leur politique funeste. Pour le prouver, il invoque non seulement l’ordonnance qui vient de le déposséder du commandement suprême de la garde nationale, mais encore les modifications que, comme conséquence de la loi de recrutement, le ministre de la Guerre est en train d’introduire dans la Garde royale. Toucher à la Garde royale, en diminuer l’effectif, en

  1. « Je te renvoie cette infâme note secrète. Quiconque voudra raisonner n’y verra qu’un tissu d’allégations sans preuves… J’ai vu ce soir le duc de Richelieu, et j’ai signé de grand cœur la radiation du marchand de dentelles. » C’est ainsi que le Roi désignait Vitrolles dans sa correspondance avec Decazes.