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le plus de celles du duc de Richelieu. Il a siégé tour à tour dans l’administration départementale de la Gironde sous la Révolution et dans le Corps législatif de l’Empire. En ces deux postes, il a poussé au plus haut degré le courage civique. Ennemi du despotisme, qu’il vienne d’en haut ou qu’il vienne d’en bas, c’est dans l’établissement d’un régime libéral, fondé sur les institutions représentatives, comme en Angleterre, qu’il voit le salut et l’avenir du pays. Mais il s’effraye, au contact des instrumens qu’il faudrait employer pour obtenir ce résultat. En sa qualité de ministre de l’Intérieur, il dispose presque exclusivement des places administratives. En arrivant au pouvoir, il les a trouvées occupées, pour la plupart, par ces royalistes intransigeans et violons à qui le ministère Talleyrand-Fouché, dans son empressement à plaire au Comte d’Artois, les a distribuées au lendemain des Cent-Jours. Avec ce personnel turbulent et enragé, rien n’est possible, ni la pacification du pays, ni la pratique sincère du régime représentatif. Cependant, Lainé le ménage, n’y porte la main qu’avec douleur et regrets. Entre Decazes et lui, la question du remplacement des fonctionnaires se dresse à tout instant. Elle compromet l’accord. Cet accord est entier quant au but que le cabinet s’est proposé ; il ne l’est pas quant aux moyens. On s’entend sur les choses ; on se divise sur les personnes.

Dans ces différends, le duc de Richelieu est plus souvent du côté de Decazes que du côté de Lainé, d’abord parce qu’il n’ignore pas que Decazes ne propose rien qu’avec l’assentiment du Roi ; ensuite et surtout parce qu’à tout instant sa loyauté, la noblesse de ses sentimens, s’effarouchent et s’irritent des procédés des ultras. Et puis, il ne connaît pas la France et craint de se tromper en la gouvernant ; il l’avoue : « Il demandait avec une grande naïveté d’être éclairé. Son esprit droit lui faisait comprendre et accepter la nécessité de certains actes. Mais, restait à l’éclairer sur les hommes. Il croyait qu’un administrateur appartenant à n’importe quel parti pouvait faire le bien en se laissant éclairer comme il consentait à l’être lui-même. »

Indépendamment de Richelieu, dont le concours est fait de résignation plus que de conviction, Decazes compte dans le ministère deux appuis : l’un puissant et fidèle, Pasquier, garde des Sceaux, qui sur tout et en tout pense à peu près comme lui ; l’autre, dont il ne doute pas encore, Molé, ministre de la Marine, homme