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Revue, a comme spécialité de fournir du travail à domicile aux femmes atteintes par le chômage. Malgré son nom, elle procure, quand elle le peut, de l’ouvrage à toutes les femmes qui en demandent, mères de famille ou non. Malheureusement, les institutrices sont en général tout à fait impropres au genre de travail que l’Œuvre peut leur procurer, qui est toujours un travail manuel. L’une d’elles se présentait, il n’y a pas longtemps, au siège de l’Œuvre, 52, avenue de Versailles. Elle ne voulut pas convenir que c’était pour elle-même qu’elle sollicitait de l’ouvrage, et s’efforça de persuader que c’était pour une amie. Charitablement, la Supérieure entra dans son innocent mensonge, et lui offrit des chemises à coudre ou des draps à ourler. Mais elle soupira, disant que son amie ne savait faire que des petits ouvrages au crochet, et elle disparut, sans rien emporter. On ne l’a jamais revue.

Quelques-unes, à bout de forces, viennent frapper à la porte des refuges de nuit. L’Hospitalité du travail de l’avenue de Versailles en reçoit de quinze à vingt par an ; chacun des trois asiles de nuit de la Société philanthropique à peu près autant. Celles-là sont bien véritablement tombées dans l’insondable misère des déclassées. Elles ont sombré. Qui viendra, en effet, sauf par une circonstance tout à fait exceptionnelle, demander une institutrice pour ses enfans à un asile de nuit ? Quand elles sont courageuses, et qu’elles ont quelques aptitudes, les directrices de ces asiles arrivent cependant quelquefois à les placer, mais à une condition : c’est qu’elles consentent à oublier définitivement ce qu’elles ont été. On m’a parlé d’une qui, courageusement, a accepté ainsi une place de femme de chambre. Elle ne se plaint, pas trop de sa condition, car elle a fini par inspirer confiance à sa maîtresse qui en a fait une sorte de femme de charge. Ce qui lui est dur, c’est de manger à l’office. Une autre, adroite de ses doigts, s’est faite ouvrière, et travaille dans un magasin de la rue du Sentier. Parfois aussi on les place, pour leur nourriture, comme gardes permanentes auprès de personnes solitaires et impotentes. Mais ce métier d’infirmière forcée est très rebutant. Les autres, celles pour lesquelles on n’a rien pu trouver, quittent l’asile au bout d’un temps plus ou moins long. Que deviennent-elles ? Personne n’en sait rien. Elles roulent, épaves de la vie, au hasard de ce grand Paris, et disparaissent dans ses flots boueux. Quelques-unes allument un réchaud, et viennent ainsi grossir la liste de ces suicides par misère dont on faisait naguère, ici même, la triste