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tous cas, elle y passe ses journées. C’est à peine si elle a le loisir de faire son ménage, et de préparer le repas du soir. Quanta garder les enfans, il n’y a pas à y songer. Qui en prendrait soin ? Il faut de toute nécessité les envoyer en nourrice. C’est dans les ménages d’employés que se recrutent surtout ce qu’on appelle, dans nos campagnes, les petits Parisiens, c’est-à-dire ces enfans nourris au biberon dans les villages des environs de Paris, parmi lesquels la mort cueille une si ample moisson.

Toutes ces tristesses de la vie d’employée ont été très bien décrites par M. Charles de Rouvre dans deux romans : l’Employée et A deux, qui sont d’une note émue, d’une touche sobre et vigoureuse à la fois. A ses conclusions, je n’aurais rien à objecter, s’il ne portait trop souvent au compte de ce qu’il appelle l’organisation sociale ce qu’il serait plus juste de porter au compte des lois naturelles, la femme ayant, tout comme l’homme, à gagner son pain à la sueur de son front. Quoi qu’il en soit, si ces deux romans tombaient sous la main d’une jeune fille qui attend avec impatience sa nomination comme employée, j’ai peine à croire qu’elle ne se sentît pas quelque peu découragée.

Elles ne se découragent pas cependant, bien au contraire. Les chiffres que j’ai donnés en sont la preuve, et lorsqu’elles ont obtenu leur nomination, c’est une joie sans pareille. Je connais, pour l’avoir suivie depuis son enfance, une jeune fille qui est employée dans une compagnie de chemins de fer. Elle était auparavant mécanicienne (ainsi appelle-t-on les ouvrières qui font marcher les machines à coudre) dans un grand atelier de confection. Elle y gagnait 3 fr. 75 par jour. Aujourd’hui, elle ne gagne plus que trois francs. Aussi sa préoccupation était-elle grande de savoir si, dans la maison de famille où elle vivait, la supérieure consentirait à rabattre de cinq francs par mois le prix de sa pension. Dans ces modestes existences, l’équilibre du budget dépend d’une somme de soixante francs en plus ou en moins. Mais le jour où elle apprit qu’elle avait été reçue à l’examen et que sa nomination était définitive n’en fut pas moins un des plus beaux jours de sa triste vie d’orpheline alsacienne.

Deux choses attirent les jeunes filles, si je les ai bien comprises, vers cette condition si ingrate, à en croire du moins M. Charles de Rouvre, et ces deux choses sont à leur honneur.

La première, c’est la sécurité. L’ouvrière parisienne, quand elle est laborieuse, a la terreur du chômage, de la morte-saison.