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LE PEUPLE GREC.

déclassés. Tout Grec, ou à peu près, dit M. Nicolas Politis, croit que la principale mission du gouvernement est de donner une « place » soit à lui-même, soit à un membre de sa famille. Il y a une série de fonctionnaires attachée à chaque parti : ceux de l’opposition attendent le renversement du ministère pour prendre les places de leurs rivaux ; chaque parti ayant un état-major, dès son avènement au pouvoir tout son personnel est placé, « du premier préfet au dernier maître d’école. » Pendant ce temps, que font ceux de l’opposition, comment vivent-ils ? Ils végètent dans la misère et, n’ayant pas de métier, gagnent leur vie comme ils peuvent, en attendant le renversement du ministère et le triomphe de l’antistrophe sur la strophe. M. Politis nous apprend même que quelques-uns, dignes compatriotes du sage Ulysse, ont soin d’avoir dans leur propre famille des membres qui sont du parti ennemi au leur, de sorte que, soit d’un côté, soit de l’autre, il y a toujours une place dans la famille. Quant aux déclassés, ils sont, pour la plupart, des jeunes gens instruits qui auraient cru déchoir en continuant le métier de leur père, métier plus ou moins manuel et « servile ». En Grèce comme partout, ils se font ou politiciens, ce qui est le plus conforme à la tradition athénienne, — ou journalistes, — une profession qui eût eu aussi à Athènes le plus grand succès ; ou encore socialistes, ce qui est propre à l’exercice de la dialectique. M. Politis nous apprend que bon nombre finissent en cour d’assises, s’évadent de prison et deviennent brigands, le brigandage n’étant autre chose que la forme revêtue en Orient par l’anarchie. Il est vrai que ces bandes de brigands, loin d’être elles-mêmes anarchiques, sont fort bien organisées, et forment « de petits états dans l’Etat ». Elles envoient « des circulaires », lèvent des impôts sous forme de rançons, délèguent des ministres plénipotentiaires au gouvernement « pour lui demander de fortes sommes, » jusqu’à ce que le gouvernement, lassé de payer, leur livre enfin bataille. Il y a quelques années, près de Lamia, on a vu le fameux chef de bande Papakyritzopoulos, ancien élève de l’école préparatoire des sous-officiers, faire prisonniers, par un choix heureux, le procureur même du roi et le juge d’instruction, puis intimer au gouvernement l’ordre de retirer ses troupes, avec menace, en cas de refus, de tuer les prisonniers. Le gouvernement, sacrifiant les deux magistrats, se décida à poursuivre les brigands et à livrer bataille. Récemment, inquiet du nombre d’avocats sans cause ou de médecins sans