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bien qu’étant parfois un peu chagrin moi-même, je ne saurais cependant m’associer sans réserve. Il m’est impossible, en effet, de savoir mauvais gré à un certain nombre de pauvres filles du sentiment qui les pousse à sortir des rangs du peuple où elles sont nées. Celles qui tentent cet effort sont en général des natures fines dont les sentimens délicats sont froissés par la rudesse et souvent la grossièreté du milieu où elles seraient naturellement appelées à vivre. Les meilleures, les plus raffinées, quand elles ont reçu une éducation chrétienne, sentent souvent s’éveiller en elles l’appel de la vocation religieuse. L’ouvrière pieuse, que M. René Bazin a peinte naguère dans son beau roman : De toute son âme, est un type beaucoup plus réel que ne le croient ceux qui ne connaissent point ces milieux. Tout récemment j’en ai eu encore la preuve en lisant une lettre écrite par une chemisière qui avait travaillé quatre ans dans un grand atelier de confection de Paris. « Pour une jeune fille, disait cette lettre, ce n’est pas une existence que de rester toute seule. Il arrive un moment où elle se lasse de son isolement et se livre à un terrible ennui. L’état du mariage ne me présente aucun attrait. Mon désir est de suivre la vocation religieuse, n’ayant plus qu’une seule ambition : celle de me dévouer toute à Dieu et de faire du bien autour de moi. » Et elle est entrée au couvent.

Mais si la source des vocations religieuses est loin d’être tarie, malgré tout ce que l’éducation laïque a fait pour cela depuis vingt ans, le courant ne porte cependant pas de ce côté. Il entraîne plutôt celles qui ont quelque ambition et quelque instruction du côté des fonctions publiques, si l’on peut appeler ainsi les modestes situations d’institutrices communales, de receveuses des postes, de télégraphistes et de téléphonistes. Ou bien elles aspirent à un emploi dans les grandes sociétés financières et industrielles qui admettent des femmes dans leurs bureaux. Qu’elles réussissent, leur avenir est assuré ; mais qu’elles échouent, et elles se trouveront aux prises avec une misère pire encore que celle qu’elles auraient pu connaître, si elles n’eussent point aspiré à sortir de leur humble milieu.

Cherchons d’abord quelle chance elles ont de réussir.

Inutile de dire que le chiffre des non-classées est impossible à fixer, même approximativement. La statistique peut à la rigueur donner des indications plus ou moins précises sur la répartition des femmes entre les diverses professions auxquelles le plus