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errans sont encore en bon nombre. Ses chansons populaires se chantent sur un rythme monotone et mélancolique, mais la mélancolie n’est guère que dans la musique. L’Hellène aime la représentation, il aime la gloire ; mais il a conservé le sentiment égalitaire des républiques. Les titres de noblesse n’ont pu s’implanter en Grèce : ils sentent l’orgueil, tandis que le Grec a simplement de la vanité. Et cette vanité est trop universelle pour créer des différences sociales.

L’élément pélasgo-ibérique, mêlé à l’élément slave, dans des pays longtemps asservis, engendre facilement des caractères renfermés on soi, défians à l’égard d’autrui, surtout de l’étranger, peu communicables sous des dehors ouverts, préférant les lignes tortueuses à la ligne droite. Le græculus fut de tout temps accusé de mettre sa subtilité au service de l’intrigue. La sociabilité de la race est toujours la même : le Grec est poli, hospitalier ; il est démonstratif ; mais il ne se livre pas. De tous les peuples bavards et aimables, a-t-on dit, c’est « celui qui se révèle le moins à l’étranger qui passe. » Comme l’Italien, l’Hellène s’enivre de sa propre éloquence, mais, pas plus que l’Italien, il ne s’enthousiasme facilement. Il a un flegme démonstratif et loquace, si on veut donner le nom de flegme à cette verve qui se possède, à cette raison lucide que n’échauffe pas la chaleur des paroles. Les croisés de 1204, « prud’hommes et droicturiers », ne purent vivre en bonne intelligence avec les Byzantins. C’étaient cependant des races également spirituelles et ayant des points communs. Mais « elles sont séparées, dit M. Deschamps, par des différences fondamentales qui s’effaceront malaisément. » Dans les Chroniques de Morée, les compatriotes de Villehardouin, prince d’Achaïe, se plaignent de l’excessive subtilité du peuple trop ingénieux qu’ils ont conquis. Le Grec moderne a toujours l’esprit avisé, prévoyant, « inépuisable en ruses », qu’Athéné admirait chez Ulysse.

Ce qu’on vante le plus, et avec raison, ce sont les qualités intellectuelles des Grecs modernes. Il y a d’ailleurs ici des distinctions nécessaires. Le fait que, parmi eux, tous les gens cultivés entendent le français et l’anglais ne prouverait à lui seul qu’une facile assimilation des langues, qui se retrouve à un plus haut degré encore chez les Slaves. La vivacité intellectuelle, commune aux Slaves et aux Méridionaux, ne serait pas non plus une preuve suffisante de supériorité. Mais, soit identité partielle