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parfois brusque, mais le plus souvent tempéré de courtoisie, les distingue seulement. Ils y symbolisent la droiture, l’honneur et la dignité nationale dont ils ont la garde, ce qui fait singulièrement oublier la funèbre fatalité de leur profession relevée par le beau mépris de la mort.

En résumé, l’esprit démocratique, en se développant, tend à effacer, dans la façon dont les hommes se considèrent entre eux, se parlent et se traitent mutuellement, les anciennes distinctions fondées sur des titres impersonnels tels que la naissance, la fortune, la faveur, et à faire plus difficilement accepter par l’individu toute domination dont il s’aperçoit, même fondée sur une supériorité réelle. L’esprit démocratique fait ressortir davantage le contraste irréductible qui existe entre les aspirations croissantes de l’individu au libre usage de toute sa personne et les exigences de la guerre. Aussi ces aspirations mettent-elles le commandement militaire, pour demeurer efficace, dans la nécessité de leur opposer une discipline d’autant plus sévère qu’elle doit suppléer davantage la vocation et la bonne volonté. Si, en effet, le lecteur se rappelle la définition proposée de l’esprit militaire, il reconnaîtra que c’est précisément cet esprit, chacun de ses élémens essentiels, qui apparaît en voie d’altération. Sans être exclusivement confiné dans le personnel de nos officiers, il ne demeurera bientôt plus le trait qu’il était naguère de notre caractère national. A vrai dire, il s’émousse de même chez les autres nations travaillées par l’esprit démocratique ; mais il en est au moins une où une discipline rude et vigilante y supplée merveilleusement. Nous n’avons pas à en imiter les procédés incompatibles avec nos mœurs et notre tempérament, mais il importe à notre sûreté de ne pas paralyser ni même détendre le nerf de la nôtre.

Puisque, dans l’état présent du monde, le canon est plus que jamais l’ultima ratio du droit des gens, l’arbitre du sort des peuples, la répugnance aux œuvres de la force doit être dominée, vaincue en nous par les leçons de l’expérience et par le dévouement à la patrie, à l’idéal qu’elle représente sur la terre et qu’il s’agit de défendre contre la force par la force même. C’est, après tout, un sacrifice qui s’impose à toutes les nations civilisées, et d’autant plus impérieusement qu’elles le sont davantage et que, par suite, elles ont à sauver des conquêtes morales plus précieuses, l’institution de la justice, la sécurité du travail, les beaux loisirs, en un mot tout ce qui vaut la peine de vivre.