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importance ait cru pouvoir parler de la guerre comme d’une éventualité aisément acceptable, et qui même pouvait à quelques égards être considérée comme désirable, il faut qu’un changement assez profond déjà se soit produit dans la conscience de nos voisins. Sans doute, ils n’ont jamais reculé devant une guerre qui se présentait à eux comme nécessaire, soit pour servir un grand intérêt national, soit pour faire face à un devoir de dignité ; mais faire la guerre pour mériter l’alliance des États-Unis et se jeter dans un conflit où l’Angleterre n’a évidemment rien à voir, c’est là une conception qu’un ministre de la Reine, il y a quelques années encore, n’aurait pas osé proposer à ses compatriotes. S’il l’avait fait, le scandale aurait été grand. Aujourd’hui, s’il y a scandale, il est beaucoup moindre, et dans quelque temps, il n’y en aura plus du tout. L’idée de la guerre, de la guerre pour elle-même, de la guerre pour les profits qu’on peut en retirer, est entrée dans l’esprit de nos voisins ; beaucoup d’entre eux l’envisagent même avec une certaine faveur. Les premiers succès des États-Unis, c’est-à-dire de la race anglo-saxonne contre l’Espagne, c’est-à-dire contre la race latine, ont produit une griserie malsaine dans l’imagination britannique, et M. Chamberlain entretient ce sentiment, ou, si l’on préfère, cette sensation, avec un art qui se perfectionne de jour en jour. Le discours de Birmingham a rencontré plus de froideur que d’enthousiasme, soit ; M. Chamberlain trouvera l’occasion d’en faire d’autres, plus habiles peut-être, et qui tendront au même but.

En attendant, on dirige contre la France une campagne d’insinuations, ou plutôt d’accusations directes dont la persistance étonne, malgré tous les démentis que nous nous appliquons à lui opposer plus encore par nos actes que par nos paroles. La presse anglaise met une unanimité singulière à soutenir que nous n’observons pas la neutralité entre les États-Unis et l’Espagne, et que nous la violons au profit de cette dernière puissance. Avons-nous besoin de dire qu’il n’y a rien de vrai dans cette assertion ? On chercherait en vain sur quel prétexte, même futile, elle repose. La correction de notre attitude a été parfaite et n’a jamais été en défaut. Il est vrai qu’une partie de l’opinion française a témoigné des sympathies à l’Espagne. Mais n’est-il pas permis de plaindre l’Espagne sans devenir suspect aux États-Unis, et sans leur être dénoncé par l’Angleterre, qui fait là un métier peu digne d’elle ? On raconte que l’opinion, en Amérique, s’est à son tour laissé surprendre, et que la presse britannique a réussi à y éveiller contre nous certaines susceptibilités. Ce n’est là, sans doute, qu’un feu de paille. Il est radicalement faux que nous ayons manqué à aucun