Page:Revue des Deux Mondes - 1898 - tome 147.djvu/721

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

des querelles qui ne la regardaient pas. L’idée de se trouver mêlée à un conflit où elle n’avait pas un intérêt personnel et direct ne pouvait pas alors se présenter à son esprit. Mais les circonstances ne sont plus les mêmes. Tous les pays d’Europe, dit M. Chamberlain, ont fait des alliances ; il faut donc que l’Angleterre en fasse, faute de quoi elle s’exposerait, dans l’état de suspicion où elle est tombée, à se trouver subitement en présence d’une coalition redoutable. L’orateur de Birmingham n’atténue pas le caractère de cette suspicion ; il serait plutôt disposé à l’exagérer. A l’entendre, l’Angleterre est suspecte à tout le monde. On lui reproche de n’agir jamais que dans son intérêt, ce qui est son droit et peut-être son devoir ; on l’accuse aussi de se servir des autres pour tirer à son profit les marrons du feu, ce qui est moins louable. Si telle est, en effet, son habitude, c’est une médiocre recommandation pour conclure avec elle une alliance : mais passons. Ainsi M. Chamberlain, rompant avec la politique dont son pays s’est si bien trouvé depuis longtemps, demande des alliances. Il le fait avec un fracas que l’on n’apporte pas d’ordinaire dans les négociations de ce genre. Il n’inaugure pas seulement un système nouveau, mais encore des procédés diplomatiques inusités jusqu’à lui. Son éloquence n’est certainement pas celle qui convient le mieux à son objet, car elle manque de discrétion. Il n’est pas d’usage de s’offrir avec cette intempérance de paroles, et en se faisant d’ailleurs si peu valoir. C’est parce que l’Angleterre a besoin des autres que M. Chamberlain les recherche ; il l’avoue, il le proclame ; il oublie seulement de dire quel avantage son appui pourrait leur procurer. Mais enfin quelles sont les alliances qu’il sollicite, et contre qui seraient-elles tournées ?

L’alliance que rêve M. Chamberlain est celle des États-Unis d’abord, et, d’une manière plus générale, des pays de race anglo-saxonne. Il ne précise pas davantage sur le second point ; mais, sur le premier, il parle avec une clarté qui ne laisse rien à désirer. Depuis quelques années déjà, l’Angleterre a fait aux États-Unis un certain nombre de concessions, sans parler de quelques sacrifices d’amour-propre qui montrent tout l’intérêt qu’elle attache à ses bonnes grâces : nous ne sommes pourtant pas bien sûrs qu’elle se les soit assurées jusqu’ici. Pour y parvenir, M. Chamberlain ira aussi loin qu’on voudra, et il prononce cette phrase tout à fait imprévue : « Si terrible que puisse être une guerre, une guerre elle-même ne serait pas d’un prix trop élevé en comparaison de l’avantage qu’il y aurait à voir nos drapeaux flotter côte à côte et nos navires naviguer de conserve vers une alliance anglo-saxonne. » Ainsi, M. Chamberlain profite du moment où les