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quelque touche plus vive, où perce un accent plus moderne, chromatique et déchirant. Ainsi que certains tableaux peints, le tableau musical est à plusieurs étages. Aux gémissemens d’en bas, là-haut d’autres plaintes répondent. Ce n’est pas un sanglot : plutôt un soupir ; il emplit l’espace, il s’y prolonge et s’y dissout, lentement, à la manière des parfums, par des séries d’accords dégradés avec une finesse exquise. Il semble évanoui pour jamais, quand une voix, une seule, se fait entendre : voix d’une âme oubliée, mais qui ne veut pas qu’on l’oublie. « In te, Domine, in te, in te speravi ! » Trois fois, sur la même note, avec une force croissante, cette voix jette sa clameur solitaire, qu’une trompette, comme elle isolée, répète et fortifie. Et c’est assez de cette voix humaine et de cette voix de cuivre pour triompher de tant de silence, pour rallier une dernière fois toutes les autres voix, et leur arracher le cri suprême, le plus émouvant, d’une invincible espérance.

Les trois œuvres de Verdi ont été jouées dans la salle de l’Opéra, où la Société des Concerts a langui cette année, où d’ici peu de temps elle pourrait bien mourir. On les eût peut-être mieux goûtées ailleurs. Je n’ai jamais trouvé si paradoxal certain Paradoxe sur la musique, où M. Paul Bourget fait une grande part, dans l’émotion musicale, aux conditions dans lesquelles la musique est entendue. Je souhaiterais donc, tout simplement, pour les Laudes à la Vierge, quatre voix invisibles, à la tombée du soir, d’un beau soir italien, dans quelque sanctuaire du pays de Dante, du pays florentin ou pisan. Et quant au Te Deum, pour qu’il fût plus beau, plus décoratif et plus somptueux encore, il faudrait l’entendre sous la coupole de Saint-Pierre, du Saint-Pierre d’autrefois, un jour de fête pontificale. Comme elle sonnerait, la dernière fanfare, par la bouche des trompettes d’argent ! Sans doute un tel « milieu » n’est pas ordinaire ; il n’est pas même indispensable, heureusement ; n’importe, il serait propice, et ce n’est pas un paradoxe, mais seulement un rêve, d’y rêver.


Autant que le génie italien, le génie allemand, en ces derniers mois, s’est rappelé à nous. Quatre Kapellmeister sont venus ou revenus diriger deux de nos orchestres parisiens. M. Colonne ayant commencé par inviter M. Richard Strauss, de Munich, M. Chevillard, gendre et suppléant de M. Lamoureux, appela coup sur coup M. Weingartner de Berlin et, de Carlsruhe, M. Félix Mottl. Mais M. Colonne avait réservé pour la fin, pour le « bouquet », M. Hans Richter, de Vienne. Tant de zèle et d’émulation témoigne chez nos « chefs » d’un