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défendu, ni peut-être impossible le retour d’une musique qui serait surtout vocale et verbale, autrement dit à peu près le contraire de notre musique moderne, instrumentale et symphonique avant tout. On peut demander beaucoup aux voix ; que ce soit du moins à la condition de leur donner beaucoup, de ne les point enfermer, par superstition ou par routine, dans l’imitation et le pastiche ; de leur octroyer enfin, pour traduire un nouvel idéal, tous les droits et tous les moyens d’un style nouveau. Voilà pourquoi nous ne saurions trouver impie qu’on prenne, avec les traditions harmoniques de l’ancienne polyphonie vocale, des libertés aujourd’hui nécessaires. Libertés heureuses, et qui, sans attenter à la pureté de la forme, peuvent, comme dans le quatuor de Verdi, profiter à la variété, quelquefois même à la vérité de l’expression.

Il serait aisé d’estimer ce profit, et de découvrir en ces quelques pages des rapports subtils entre telle pensée, ou telle parole, et telle harmonie, ou telle note seulement. Oui, d’une note, d’une seule, haussée ou baissée d’un degré, il faudrait quelquefois s’occuper ici ; cet imperceptible mouvement suffit à changer tant de choses ! Or, dans le texte des Laudes, emprunté au dernier chant du Paradis de Dante, tout change constamment. Pour tant de prières, de louanges, ces quatre voix de femmes renouvellent constamment les sonorités, les accens, presque les couleurs et les images. « Vergine madre, figlia del tuo figlio », dit la première terzine, et dans la transparence d’un accord parfait, d’une tonalité limpide, rayonne la pureté de la « Vierge mère, fille de son fils ». L’oraison continue ; les plus doux, les plus humbles vocables alternent avec les appellations de gloire et de magnificence, et la musique tantôt s’incline et murmure, tantôt s’élève et retentit. Toujours docile à la parole, elle s’y conforme soit avec respect, soit avec amour. « Donna, sei tanto grande e tanto vali ! Dame, vous êtes si grande et si précieuse !… » Entonnée par les quatre voix tour à tour, l’apostrophe monte comme une fanfare ; mais si la montée de la mélodie la fait éclatante, le mode mineur l’attendrit, et le triomphe de l’élue est proclamé sans que soit oubliée la grâce de la femme. Tous les titres que la poésie prodigue à la Madone, toutes les vertus dont elle la couronne, la musique les embellit encore ; des accords, tombant et retombant sans cesse, redoublent l’éloge, le multiplient et le transforment. C’est ainsi que, dans la monotonie et la prétendue pâleur d’un style réduit en apparence aux élémens les plus simples, le génie moderne sait introduire la couleur et la variété.

Au-dessus du Stabat et des Laudes même, il convient de placer le