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la diriger eux-mêmes, et comme on l’a dit : « Quand le contrôleur supprime le contrôle pour agir à la place du contrôlé, c’en est fait du gouvernement parlementaire, qui est alors remplacé par le gouvernement du Parlement, ce qui est tout le contraire. »

Les députés sont devenus les souverains dispensateurs de places et de grâces ; ils promettent, ils menacent, ils donnent, ils refusent, ils nomment et destituent. Les plus influens sont des puissances qui font trembler les préfets, plus jaloux de gagner leur faveur que de complaire à un ministre qui aujourd’hui est peu de chose et demain ne sera rien. Ces députés influens sont sûrs d’être réélus ; quand l’appui de la préfecture viendrait à leur manquer, ils auraient pour eux les fonctionnaires des arrondissemens et des communes, qui leur doivent leurs places ou comptent sur eux pour obtenir de l’avancement. Jadis, les fonctionnaires français ne connaissaient que leur consigne ; aujourd’hui, en matière de politique, ils ne s’occupent plus que de savoir qui peut leur nuire ou les servir. M. Félix Faure, qui n’était pas encore Président de la République, disait à ses électeurs, il y a quelques années : « Dans tel département, l’administration soutient la politique libérale ; dans le département voisin, elle favorise les radicaux, dans tel autre, le préfet se conforme aux instructions de son ministre et les sous-préfets ne prennent conseil que d’eux-mêmes. Il est beaucoup de fonctionnaires dont nous savons qu’ils sont plus préoccupés de satisfaire le gouvernement de demain que celui qu’ils représentent, et c’est un état d’anarchie auquel le pays désire qu’on mette un terme. »

Cette anarchie durera tant que les ministères seront instables et les députés omnipotens. Ce ne sont pas seulement les amateurs de fonctions publiques qui font appel à leur crédit, mais quiconque soupire après une décoration, après un bureau de tabac, quiconque a besoin d’un coup de piston, quiconque a un cas litigieux à résoudre ou des difficultés avec la régie, la douane, l’autorité militaire. « Faites-vous recommander par votre député, un dossier sans lettre de député est incomplet. » Voilà ce que disent les bureaux à tout solliciteur. Quel est le député le plus sûr d’être réélu ? Quel est le député à qui l’appui des fonctionnaires, des comités et des politiciens ne fera jamais défaut ? C’est celui qui a le génie de la recommandation, celui qu’on ne déboute jamais de ses requêtes, celui dont les prières sont des ordres. Tout récemment le jour du ballottage, en allant voter, je fis route avec un électeur qui me pria de le renseigner sur le caractère des deux candidats qui se disputaient sa voix. Il se souciait peu de leurs opinions, il était disposé à croire qu’ils n’en avaient ni l’un ni l’autre. La question