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LE PEUPLE GREC.

se confondirent. Discuter sur tout à perte de vue devint l’occupation par excellence des hommes libres. L’action finit par s’en ressentir. La politique même, pour les Grecs, se réduisit trop souvent à la dialectique et à la rhétorique, où, autrefois comme de nos jours, triomphaient les sophistes et les démagogues.


III

Renan considère les Grecs comme la moins religieuse des races, parce qu’ils n’ont point la préoccupation de la mort : « c’est, à l’en croire, une race superficielle, prenant la vie comme une chose sans surnaturel ni arrière-plan ». Vivre, pour eux, c’est « donner sa fleur, puis son fruit ; quoi de plus ! » Ce jugement d’un ami des nuances ne semble guère nuancé ; non plus que celui de Taine, qui nous représente les Grecs si peu respectueux de leurs divinités et plaisantant sur les aventures de Jupiter. Par un excès contraire, Fustel de Coulanges suspend toute la vie grecque à la religion. Le génie hellène ayant été le plus varié et le plus riche de l’antiquité, il est bien difficile et même impossible de l’enfermer ainsi dans des formules : tout a été vu ou deviné par les Grecs ; rien de ce qui est intelligible ne leur est resté étranger. Et l’inintelligible même, ils lui ont fait sa part au-delà du monde de la pensée, mais sans éprouver en sa présence la terreur profonde ou la profonde vénération des peuples mystiques. Ils étaient trop logiciens pour attacher à l’inconnaissable autre chose qu’un sentiment négatif, et, tout en élevant un autel au Dieu inconnu, ils se sont prudemment occupés du connu ou du connaissable. C’est pour cela qu’ils ont eu surtout le culte de la vie présente, celle où l’on pense, celle où l’on sent, celle où l’on agit. Platon a dit, il est vrai, que la sagesse est une méditation de la mort, mais, en le disant, il fait de l’orientalisme. Spinoza exprimera une pensée plus grecque en disant que la sagesse est une méditation de la vie. Seulement la vie, pour satisfaire l’intelligence et les sens, doit être belle et bonne : une règle de beauté, de sérénité et d’allégresse, qui commande d’ailleurs, quand il le faut, l’entier sacrifice de soi, voilà par excellence la morale grecque, dont la religion est l’expression symbolique.

On a prétendu faire dériver les dieux grecs des dieux hindous ; ces imaginations sont aujourd’hui réfutées. Les divinités hellènes ne se retrouvent pas sous forme d’épithètes dans les Védas ou les