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traduire, et à effacer du texte ce qu’on ne sait comment rendre. Ce n’est pas de l’audace, mais c’est une fort légitime habileté.

Il ne faut pas, non plus, parler de simplification à la manière des Egyptiens, ni des intentions de leurs artistes, qu’on ignore totalement. Il est vrai que, si vous allez au Louvre, vous y verrez quantité de figures accroupies, les coudes sur les genoux, les bras croisés, le menton sur les bras, la tête émergeant seule du cube de granit gris, semblables à des fous emprisonnés dans des camisoles de force, avec des prières écrites sur leurs jambes. Par exemple, la statue d’Ouah-ab-ra, de la XXVIe dynastie. Elles sont aussi simplifiées que le Balzac. Seulement, cette simplification, chez les Egyptiens, n’était que de l’impuissance à travailler le granit avec le ciseau. Elle était commandée par l’insuffisance des instrumens du sculpteur, obligé de terminer son œuvre en la polissant à force de grès et d’émeri. Aujourd’hui que la plus dure matière obéit à notre doigt, nous sommes tenus à plus d’artifice et de dextérité. Un enfant qui s’essaie à parler et balbutie, — c’est charmant. Mais un vieillard qui balbutie, comme un enfant, — c’est lamentable. Pouvons-nous recommencer, sans rire, les balbutiemens de cette enfance de l’humanité ?

Ce qu’on peut plaider, pour le Balzac, c’est donc simplement l’intention. Considéré comme une ébauche, ce plâtre si discuté n’est nullement méprisable. Accepté comme symbole, c’est-à-dire comme le contraire même d’une œuvre de plastique, il laisse le champ libre à toutes les imaginations. Regardons-le. Le corps a quitté le repos. L’âme n’a pas quitté le sommeil. Les pieds sont hardis de mouvement. La tête est lourde de songes. D’un pas de somnambule, il marche et, en marchant, comme le vieillard tout-puissant qu’on voit figuré dans les vieilles gravures du Paradis terrestre, il crée. Il ne fait pas le geste auguste du Créateur peint au plafond de la Sixtine, communiquant de son doigt tendu au doigt tendu de l’homme le réveil et la vie. Il ne porte pas, comme lui, enroulées dans son manteau les formes des êtres : il les porte sous son front. Les mains sont liées sous sa robe, dans le geste qui signifie, chez le tâcheron, la détente et le repos, et chez le penseur, la concentration et le travail. Parmi cette foule de marbres, de statues allégoriques, de Vénus ou de Sources, d’Orphées, de Cérès ou de Chloés, de Renommées conduisant des attelages, ou de héros tirant des coups de revolver, au milieu de ces formes vieillies, son rêve inachevé