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qui lui fournit une verticale, il perçoit clairement une chose : c’est que le Balzac n’est pas d’aplomb et va tomber. Enfin, passe un esthète qui le tire d’embarras en le menant à la droite de la statue auprès des Buveurs en bronze de M. Biondi et lui montre le profil sortant du capuchon. A force de bonne volonté, le spectateur, comme le dindon de la lanterne magique, croit bien apercevoir quelque chose, mais il n’en saurait distinguer la cause. Il se souvient qu’après tout il bâilla jadis devant Wotan et qu’il eut envie de s’entourer la tête de linges mouillés la première fois qu’il lut M. Mallarmé. Et pourtant qui doute que la Walkyrie ou que l’Hommage à Wagner ne soient des chefs-d’œuvre ? Un chef-d’œuvre est donc, par définition, quelque chose qu’il ne comprend pas. À ce prix, c’en est fait : le Balzac est un chef-d’œuvre…

Comment, cependant, de telles suggestions sont-elles possibles et par quel concours de circonstances certains esprits délicats, après les avoir éprouvées eux-mêmes, parviennent-ils à les imposer aux autres, c’est là, pour l’observateur, le point nouveau et intéressant du débat.

Tout d’abord, la faute en revient à l’esprit de routine, qui a souvent nié avec obstination qu’il y eût de l’art là où il n’y avait point la forme d’art qu’il avait été éduqué à percevoir. L’exemple le plus considérable, en notre temps, est celui de Wagner. La moquerie, cette « indigence de l’esprit », a longtemps fait rage contre son œuvre, et quand on retrouve les caricatures qu’elle a inspirées à Cham, on est un peu confus de cette assurance méprisante d’un caricaturiste contre un génie. Puis, ce qu’il y avait de beau dans l’œuvre du Maître a triomphé chez les esprits indépendans, et, triomphant, a entraîné dans son triomphe tout ce qu’il y avait de médiocre et même de détestable. Revenir de Bayreuth a été une fonction. On n’avait pas distingué dans le blâme : on ne distingua plus dans l’admiration. Des gens qui n’avaient pas perçu de mélodie dans la Romance de l’étoile en découvrirent soudain dans les disputes de Wotan et de Frica. Il le fallait pour se faire agréer comme vrai wagnérien, wagnérien de la veille, et n’être pas traité comme un « rallié ». Le sentiment public s’était trompé sur Wagner. C’est un fait.

‘ Mais de ce qu’il se soit trompé sur Wagner, s’ensuit-il qu’il se trompe sur M. Rodin ? Voilà le point ; et de ce qu’il y avait des choses admirables dans Parsifal, bien qu’on ne l’ait pas compris d’abord, s’ensuit-il que tout ce qu’on ne comprend pas d’abord