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nous voyons le plus fréquemment adopté dans les portraits, cette année, — tels ceux de M. J.-P. Laurens représentant son fils, ou de M. Courtois représentant un jeune peintre, de M. Dagnan-Bouveret représentant un jeune homme, — et c’est le portrait en pleine lumière diffuse, en plein air que nous apercevons le moins. Le plus grand nombre des visages contemporains apparaît largement éclairé, mais non pas également de tous les côtés, ce qui arrive dans l’hypothèse d’un plein air, sous un ciel voilé, sans coup de soleil. Il y a partout des ombres indiquant un foyer de lumière supérieur aux autres. Dans tous les cas, il n’y a pas de violens reflets du milieu ambiant sur la figure.

Considérez les trois portraits de la salle la plus riche en effigies contemporaines, la salle XII contenant le portrait du duc de Doudeauville, magnifique et vague comme une prophétie, du prince d’Arenberg, exact et particulier comme un bilan, et de M. Jules Lemaître, papillotant comme une causerie sans thèse, les deux premiers par M. Aimé Morot, le dernier par M. Humbert. L’éclairage est assez uniforme. Cette large tombée de la lumière a permis à M. Morot de nous montrer un cheval admirable qui a quitté les allures que perçoit seule la chronophotographie pour prendre modestement une de celles que nous aimons à voir, puis un habit rouge superbe, et un terrain un peu flottant, dont la légèreté fait compensation à la pesanteur de la draperie sculptée derrière le prince d’Arenberg. Mais, dans cet éclairage diffus et parmi les tonalités riches des costumes, que devient la tête du cavalier ? Et, en comparant la splendeur des accessoires à la pauvreté relative du principal dans un portrait, c’est-à-dire de la figure même, on est tenté de répéter au peintre quelque chose comme ce que La Bruyère disait à L’ami d’un homme fort élégant : « Montrez-moi les bijoux et le costume de cet homme, son cheval, sa cravache et ses bottes, et je vous tiens quitte de la personne. » Sous la pleine lumière tombant presque d’aplomb sur le prince d’Arenberg, tous les traits de la physionomie apparaissent dans une égalité parfaite, aucun n’étant sacrifié à l’autre, rien ne tranchant extrêmement, rien ne manquant tout à fait, — comme on voit, chez certaines natures privilégiées du privilège de l’équilibre, les traits de la précision pratique et du goût artistique, de l’esprit et de la bonhomie, du tact et de la rondeur, de l’aptitude aux affaires les plus difficiles et les plus diverses, du bonheur dans les entreprises les plus