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ses Lectures on art et un maître a dit pareillement : « La pierre de touche du talent du peintre, c’est le portrait. »

Cette pierre est un écueil où beaucoup de réputations sont venues se briser. Ce n’est pas que le portrait exige des qualités plus hautes, ni aussi hautes qu’un groupement de figures agissantes ou que la fiction ; mais les qualités qu’il exige sont nettement définies, spécialement exigibles, et tout le monde en est ou s’en croit le juge. Le génie n’y est ni nécessaire, ni suffisant, pas plus qu’il n’est nécessaire ni suffisant pour écrire l’histoire. Le portraitiste d’hommes est un historien. Il lui faut de l’observation, de la patience, de la mesure, et parfois du stratagème. Le modèle pose devant le portraitiste comme le héros devant l’historien. Il faut savoir écarter le masque assez pour que l’homme apparaisse, pas tant cependant que le héros s’évanouisse. Il faut attraper la ressemblance en même temps que la vie, et l’on est beaucoup plus averti sur la ressemblance quand il s’agit d’un portrait peint, que s’il s’agit d’un portrait littéraire. Qu’un laborieux historien écrive demain sur le Duc d’Aumale un livre où la figure du prince ne transparaîtra, sous le voile des documens inédits, que par fragmens méconnaissables, toute pâlie et décolorée, personne ne s’en offusquera et le portrait passera pour ressemblant auprès de ceux mêmes qui auront connu le modèle. Ils en croiront l’auteur, en raison des papiers nouveaux et secrets qu’il aura seul dépouillés, et moins la figure sera ressemblante, plus il acquerra de crédit pour les transformations savantes et documentées qu’il lui aura fait subir. Mais qu’un grand sculpteur ou qu’un grand peintre s’avise de représenter le prince selon une attitude qu’on ne lui a point vue, dans un costume qu’on désapprouve, et que, peignant ou sculptant de lui une image fort exacte d’ailleurs, il choque l’idée qu’on se fait ou qu’on veut se faire du brillant cavalier de la Smala, ce sera un tolle unanime.

Un jour, l’historien de Richelieu nous trace un portrait du jeune évêque de Luçon selon les indications d’une sorte de bréviaire portatif de l’ambitieux de cour écrit par le modèle lui-même, et à l’aide de ce mémoire il cherche à pénétrer « dans le secret le plus intime de cette âme ambitieuse. » Il nous dit que : « tous les pas sont comptés, toutes les paroles sont pesées, tous les gestes sont surveillés : rien n’est abandonné au hasard de l’improvisation. » Il ajoute « qu’un continuel empire sur soi