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que les putti qui voltigent sont placés derrière le plan de la Jeune fille qui subit l’ Assaut et ceux qui se tiennent debout ou à genoux devant elle, le photograveur intervient, et le lecteur, sans tant de paroles, a compris. Il n’y a que la couleur de M. Bougueneau qu’il ne perçoit pas, mais la gloire du Maître y perdra-t-elle ? Et, d’ailleurs, l’écrivain, employât-il tous les termes de la fabrication de la porcelaine, la lui fera-t-il percevoir davantage ? La photogravure a tué la description.

Ne pouvant plus étudier avec quelque détail les œuvres exposées, parce que leur nombre défie son analyse, et ne trouvant plus aucune utilité à les décrire, parce qu’elles sont beaucoup mieux décrites par la photographie, le critique est-il du moins fondé à les juger ? Se peut-il permettre d’écrire, comme ce peintre, critiquant le Salon de 1791 : N° 351 : — Croûte par M. Robineau. N° 365 : — Jolie gouache par M. Moreau ; sans autres considérans ? De tels arrêts ne valent que ce que vaut l’autorité de celui qui les prononce. S’attribue qui voudra cette autorité. Nous, nous ne nous l’attribuons pas. Le critique peut attirer l’attention du public sur un point, lui demander de réfléchir sur une impression, plaider devant lui les intentions, les moyens, les circonstances. Il ne peut pas juger d’un mot ni lui imposer son jugement. Autrefois, et il n’y a pas longtemps encore, deux ou trois critiques seulement s’exprimaient sur ces choses à des tribunes qui avaient quelque retentissement. Bon gré, mal gré, on les entendait, et comme on les entendait seuls, leur opinion s’imposait au monde des arts quasi tout entier. Aujourd’hui, personne n’est écouté de tout le monde, et tout le monde, parlant d’art, est écouté de quelqu’un. Les opinions les plus intransigeantes sont soutenues par des groupes entiers et les ostracismes les plus violens prononcés par des coteries considérables. La contradiction des jugemens en atténue, il est vrai, la portée, et le même artiste, placé à côté du Titien par les uns et qualifié de néant par les autres, se trouve réinstallé, par ce jeu de va-et-vient, à peu près en la place intermédiaire qu’entre ces deux extrêmes il a le droit d’occuper. Mais l’autorité des critiques y perd singulièrement. Ou, pour mieux dire, elle est perdue. Personne ne s’incline devant les couronnes ou les accessits qu’un critique a décernés, parce qu’il y a trop de critiques et qu’ils diffèrent trop sur les prix qu’ils décernent. Le temps des palmarès est passé.

Celui de l’Esthétique est venu. A l’heure où chacun saisit,