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Anglais déployèrent une intelligence, un courage, une ténacité sans égale. Seeley oublie de le dire ; notre devoir est de le reconnaître. Pourtant, il faut ajouter que nos gouvernans ont aidé, par leur négligence, à la destruction de notre empire colonial. Leur tort, suivant Seeley, — et le souvenir peut servir d’avertissement, — fut de se partager, fort inégalement, entre les intrigues politiques du vieux monde et les vastes perspectives de conquêtes que le nouveau leur offrait.

On sait comment l’Angleterre avait fondé son premier empire colonial : en persécutant la liberté de conscience. Ce n’est pas là une recette qu’il faille recommander. Le courant d’émigration transatlantique cessa brusquement au moment de la réunion du Long Parlement ; il recommença à la Restauration, mais sans prendre la même ampleur ; pendant le XVIIIe siècle, il fut insignifiant. Ainsi c’est par ses vertus prolifiques que se développa principalement la population de la nouvelle Angleterre. Le gouvernement de la métropole traita les colons avec un mélange de tracasserie autoritaire et de libérale indifférence. À lire les chartes, on dirait des sujets ; dans la pratique, ils sont parfaitement libres, considèrent leur allégeance comme nominale et de pure courtoisie. Le contraste s’explique par la lutte de deux principes : la tradition créée par l’Espagne et le Self-government qui est, en quelque sorte, inné aux Saxons. Cette tendance se manifeste spontanément, comme une force naturelle qui travaille au dedans et sort en éruption. C’est ce qu’exprime naïvement et fortement le vieil historien Hutcheson lorsqu’il écrit, à la date de 1719 : « Cette année, une assemblée générale éclata (broke out) dans le Massachusetts. » Ce mot, qui assimile le self government à une épidémie de typhoïde, ravit Seeley, et, en effet, il est caractéristique.

Il vient un moment où les colons anglais se sentent menacés par les colons français. Ils demandent un secours et l’obtiennent. Le danger passé, ils veulent reprendre toute leur indépendance ; l’État veut se faire payer ses services : d’où, mésintelligence et, finalement, rupture. Mais ce n’est là que l’occasion. La vraie cause de la séparation est dans l’origine même de la colonisation. Deux races d’hommes, déjà très distinctes dès le principe, devaient se trouver encore plus divisées, après avoir vécu cent vingt ans, avec un océan entre elles. Les Américains en sont encore, en 1770, aux idées de Vane et de Hampden. Comparez ces idées à celles