Page:Revue des Deux Mondes - 1898 - tome 147.djvu/610

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

Seeley a raison lorsqu’il fait consister la différence spécifique de la colonie antique et de la colonie moderne dans la différence même de la cité et de l’État. Pour les Grecs ces deux notions se confondent. La cité est et doit rester petite ; l’Etat est contenu dans l’espace étroit de ses murailles et quiconque sort de la cité sort de l’Etat. La cité coloniale conservera avec la métropole un lien moral de solidarité, de vague tendresse, comparable à cette vision trouble et fascinatrice que nous gardons des lieux où s’est passée notre enfance lointaine. En cas de péril extrême, elle demandera du secours au nom de la langue et des dieux communs ; rien de plus. Lorsque commence la colonisation espagnole et portugaise, l’idée moderne de l’Etat est déjà née. Aussi les colonies seront-elles des dépendances, des domaines de rapport et des pépinières d’hommes. On leur donnera des vice-rois, des gouverneurs, ou encore des compagnies à charte, moins pour veiller à leurs progrès que pour s’assurer de leur soumission. Mais l’idée de l’Etat s’est encore développée depuis le XVe siècle, et les colonies sont devenues parties intégrantes de la communauté politique. Il eût semblé singulier à nos pères et il semblera tout simple à nos fils qu’un état compact puisse s’étendre dans les deux hémisphères. Deux choses ont rendu ce phénomène réalisable : la liberté indéfinie des échanges et la rapidité des communications, par la navigation à vapeur et la télégraphie électrique. Ce nouveau système colonial, les Anglais l’ont subi, ils ne l’ont point inventé. Ils l’ont pratiqué à tâtons. Ils en ont bénéficié sans le comprendre et ils se sont débattus, pendant un demi-siècle, contre leur bonne fortune. L’Angleterre n’avait été ni plus hardie ni plus clairvoyante, au XVIIe siècle. Avant qu’il y eût une Greater Britain, il y avait eu une Greater Spain, une Greater Holland, une Greater France. Pourquoi ces ébauches d’empires coloniaux ont-elles disparu ? L’Espagne manquait d’argent et d’hommes. La Hollande avait une base européenne trop étroite. Puis, comme dit brièvement Seeley, « on n’est pas toujours heureux », et, quoique le mot soit médiocrement scientifique pour un historien de l’évolution, je suis disposé à m’en contenter. La Hollande avait dépensé sa force, épuisé sa chance. Battue sur mer par les Anglais, sur terre par les Français, elle devint, en 1674, la protégée, la vassale de la puissance qui l’avait vaincue, et les beaux jours ne revinrent jamais. Enfin, la France !… Là, il y eut lutte directe et, dans cette lutte, les