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« Quels sont, se demande-t-il, les événemens importans auxquels il faut s’arrêter ? Sont-ce les plus dramatiques ? Sont-ce ceux qui ont eu le plus d’importance aux yeux des contemporains ? Sont-ce, enfin, ceux qui ont eu les plus graves, les plus durables conséquences ? A une question posée ainsi, la réponse ne peut être douteuse. Voilà l’histoire artiste, l’histoire théâtrale, celle qui peint des tableaux et raconte des émotions, condamnée en bloc ! Avec elle disparait une autre école : celle qui, suivant l’expression de Seeley, semble assister à tous les événemens du haut de la tribune des journalistes. Pour cette école-là, qu’elle soit whig ou tory, le champ de l’histoire, c’est le plancher du parlement. Des discours, des votes, des ministères renversés : tout est là. Pour ce genre d’histoire, la paix d’Utrecht est une manœuvre jacobite de Bolingbroke, qui ne réussit pas, et la guerre de l’Indépendance américaine a cet immense résultat… de faire tomber le cabinet de lord North. » Avec ces phrases ironiques, et d’autres semblables, Seeley renvoie des à dos, sans les nommer, Carlyle et Macaulay. « Nos histoires, dit-il, sont des histoires constitutionnelles et parlementaires. On y voit des hommes qui combattent pour la liberté religieuse et politique. Mais la question intéressante, la question vitale, c’est de nous apprendre comment s’est fait l’empire britannique, comment l’Angleterre est arrivée à la situation commerciale qu’elle occupe, car c’est, dans le passé, le seul problème qui touche l’avenir ; c’est la leçon que l’histoire doit à la politique. »

Les étudians de Cambridge, qui entendirent pour la première fois, il y a près de vingt ans, ces idées si nouvelles, n’avaient ni le droit ni l’envie d’interrompre leur professeur, qui, d’ailleurs, ne se faisait pas faute de leur rappeler, de temps à autre, en termes dédaigneux, leur profonde ignorance. S’ils comprenaient toute la portée de ces paroles, ils auraient pu se dire que leur maître, en chassant les héros de l’histoire nationale, portait atteinte à cette personnalité collective, à cet être moral qu’ils avaient cru jusque-là être le peuple anglais. La constitution dont le professeur faisait bon marché, par son lent développement, par la persistance de ses traits dominans, par son vague et sa fixité tout ensemble, représente très exactement le caractère de cet être moral et collectif. et comment ne le représenterait-elle pas, puisqu’elle est son reflet, son expression ? Les luttes pour la conquête de la liberté de conscience et de la liberté politique ont été l’école où