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Révolution, c’est que les auteurs des traités de 1815 lui en donnèrent l’occasion et le droit.

Donc, en tant que drame historique, la Vie de Stein a deux graves défauts : insuffisance du protagoniste, immoralité du dénouement. En tant que répertoire de jugemens et de faits, elle soutire un peu du parti pris de l’auteur. Non seulement il a composé son livre avec des documens allemands, des idées allemandes, des haines allemandes, mais il s’est assimilé toutes ces choses et il a écrit en anglais un livre allemand. Il avait appris à l’école la langue de Voltaire ; il apprit celle de Gœthe dans un séjour d’un an qu’il fit à Dresde. Quand on parlera de Seeley, il ne faudra jamais oublier cette année de Dresde, qui laissa une trace ineffaçable sur sa vie intellectuelle. À cette époque, un Napoléon était, de nouveau, sur le trône et l’Europe était encore une fois sous l’hégémonie française. Les colères de 1814 s’étaient réveillées et ajoutaient un aliment à de nouveaux griefs, un prétexte à de nouvelles ambitions. Il plut à Seeley de s’inoculer ce virus germanique, 1870 arriva. Il n’était pas de ces généreux qui prennent le parti des vaincus. Ses doctrines, d’ailleurs, le lui défendaient, puisqu’elles l’obligeaient à regarder le succès comme un critérium et une justification. Son livre eut donc cette cruelle opportunité qu’il couronnait Bismarck dans la personne de ses prédécesseurs.

Le professeur de Cambridge ne s’en tint pas là. On lui offrit douze pages pour écrire dans l’Encyclopædia Britannica l’article Napoléon. C’était peu, même quand il s’agit des formidables pages de l’Encyclopædia, pour démolir un pareil homme. Seeley réclama et obtint trente-six pages et, de ces trente-six pages amplifiées, sortit la Short history of Napoleon the First, qui forme un précis de la biographie impériale. L’auteur compléta ce volume avec une dissertation « sur la place que Napoléon doit tenir dans l’histoire ». Un Français se fût donné la peine de fondre les deux ouvrages : Seeley, soit maladresse, soit dédain de l’art, laissa les deux parties parfaitement isolées. Peut-être pensa-t-il que l’armée de faits et l’armée d’argumens qu’il avait ramassées contre Napoléon Ier donneraient mieux tout leur effet destructeur si elles gardaient, l’une la brièveté narrative, l’autre l’ordre et l’ampleur de la méthode dialectique. Quoi qu’il en soit, ce petit livre fait projectile ; il condense et mobilise les trois lourds bouquins de la Vie de Stein. C’est lui qui a posé Seeley en « ennemi personnel »