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variété du sol et des climats, par la nécessité d’utiliser la moindre parcelle de terrain et de payer comptant, en travail journalier, tous les dons d’un pays médiocrement fertile. Voilà le véritable effet du climat et du sol. Le climat ne peut rien sans la race ; la race peut beaucoup malgré le climat, lorsque ce dernier n’offre pas des conditions physiologiques insurmontables ; mais ce sont surtout les hommes mêmes qui peuvent presque tout les uns sur les autres. Ceux-ci inventent, ceux-là imitent ; les uns s’attachent à la tradition, d’autres cherchent à faire le contraire de leurs prédécesseurs. Les divers esprits, les diverses œuvres agissent ainsi les uns sur les autres et s’enchaînent par une sorte de filiation toute spirituelle. C’est surtout chez le peuple grec que les facteurs moraux et sociaux de la civilisation, trop souvent sacrifiés par une certaine école historique, ont montré leur fécondité et leur prévalence.


II

Hippocrate et Aristote signalent avec raison l’équilibre des facultés et leur eurythmie comme l’attribut distinctif de leurs compatriotes. Le mélange de deux races bien douées semble avoir affiné et rendu héréditaires leurs qualités essentielles. En même temps, les deux tempéramens typiques, l’un sanguin-nerveux et plus fréquent dans le Nord, l’autre, bilieux-nerveux et plus fréquent dans le Midi, paraissent avoir produit un composé harmonieux.

La sensibilité grecque avait la vivacité méridionale, sans être violente et farouche : nous parlons surtout des Ioniens, mais les Doriens mêmes, comme on l’a vu, ont été quelque peu calomniés. Les Grecs étaient d’ailleurs et sont toujours restés encore moins sensibles que sensuels, encore moins sensuels qu’intellectuels. La pensée eut toujours une large part dans leurs émotions. Chez l’Athénien, les passions sont mobiles comme les idées ; il a l’amour du changement, l’appétit de la nouveauté. Il aime à cueillir la fleur des choses, pour passer légèrement d’un plaisir à un autre plaisir. Ce besoin de toutes les jouissances lui est inné et il trouve dans la jouissance même quelque chose de sacré. Sous les plaisirs que lui offre la nature, quels qu’ils soient, il ne se demande guère s’il n’y a point une secrète amertume. Il sent plutôt l’harmonie que la disproportion entre le réel et l’idéal. Malgré de profondes échappées sur la tristesse des choses, qui ne