goût pour le mauvais caractère de Stein. Et puis, Stein n’était que la figure centrale du tableau où il voulait introduire, à leur rang et suivant la perspective voulue, Hardenberg, Scharnhorst, Gneisenau, Niebuhr, les promoteurs de la Tugendbund, tous ceux qui ont pris part à la révolte de l’Allemagne contre Napoléon, les ouvriers de la dernière heure aussi bien que ceux de la première. L’unité du livre, c’est la haine de la France, et si Stein y occupe le premier rang, c’est apparemment qu’il personnifiait cette haine mieux qu’aucun de ses compatriotes. « Il haïssait les Français, nous dit-on, autant qu’un chrétien peut haïr. » C’est aux chrétiens à déterminer quelle limite maximum peut être atteinte, en pareil cas. Mais j’oublie que Stein lui-même nous a éclairés là-dessus, en s’écriant : « Puisse le diable les emporter tous ! » Il les emporta, en effet… de l’autre côté du Rhin.
Ce que Seeley se proposait d’écrire, et ce qu’il a écrit, en effet, c’est donc l’histoire d’un groupe, d’un mouvement, d’une idée, l’histoire de la Prusse de 1806 à 1822. Et pourquoi pas ? L’entreprise était intéressante pour des Allemands et on ne sera pas surpris d’apprendre que la Vie de Stein parut à la fois à Londres et à Leipzig. Pour les Anglais, elle offre un intérêt presque aussi direct, car, sans cette révolte de l’Allemagne, fomentée et organisée par Stein et par ses amis, qui sait quelle eût été l’issue du duel à mort, engagé entre Napoléon et la Grande-Bretagne ? Et nous, Français, quel accueil ferons-nous à la Vie de Stein ? Sommes-nous incapables de donner notre sympathie, dans l’histoire, à un peuple opprimé, parce que c’est nous qui nous trouvions être ses oppresseurs ? Le mouvement insurrectionnel de l’Allemagne contre Napoléon est un mouvement parfaitement légitime. Il a eu ses héros et ses martyrs ; nous ne leur refusons pas la gloire qui leur est due. Mais il y a de bonnes raisons pour que l’intérêt accordé à cette révolution ne se soutienne pas et, vers la conclusion, se change en mépris. C’est que, d’abord, ce l’ut la lutte du nombre contre le génie et l’héroïsme. Puis cette révolution se trouva, finalement, n’être qu’une contre-révolution. Entreprise par les peuples, elle tourna contre eux et servit à leur forger des chaînes plus étroites et plus dures qu’auparavant. Elle eût pu être la revanche du droit ; elle ne fut que le retour offensif des préjugés, des appétits et des rancunes. Si Napoléon, pendant les Cent Jours et à Sainte-Hélène, put reprendre son premier et magnifique rôle, de vengeur des nationalités et de soldat de la