Page:Revue des Deux Mondes - 1898 - tome 147.djvu/596

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

élément humain. C’est cette humanité que nous présente l’Ecce Homo, comme le titre le fait pressentir. Sous quel aspect Jésus parut-il à ses contemporains ? Quel mouvement moral l’avait précédé et annoncé ? Quelle société voulait-il fonder, et en quoi cette société diffère-t-elle de celle que nous voyons aujourd’hui établie sous son nom ? Le grand problème était ajourné et non tranché de façon négative. Un second ouvrage, beaucoup plus difficile à écrire, devait envisager le Christ comme « fondateur de la théologie moderne ». Ce volume n’a jamais paru. Seeley donna, sans nom d’auteur, une série d’articles au Macmillan Magazine sur la Religion naturelle. Ces articles, considérablement remaniés et refondus, ont fourni, en 1882, la matière d’un volume fort inégal et un peu incohérent. Une préface brève, ironique, ambiguë, permet de croire, si l’on y tient absolument, que l’auteur, en explorant le domaine de la Religion naturelle, n’entendait point envahir celui de la Religion révélée. Etait-ce respect ou prudence ? La métaphysique religieuse de Seeley mériterait peut-être une étude à part, mais elle ne peut entrer dans celle-ci, dont l’objet est très différent. Deux points seulement sont nécessaires à retenir. Le premier, c’est que, chez ce professeur de politique, il y a un courant profond de pensée religieuse, qui ne s’interrompt pas, de l’enfance à la maturité. Le second, c’est que, dans son évangile darwinien, se manifeste déjà d’une façon distincte sa tendance à diminuer la personne et à supprimer l’accident, à n’accepter aucun fait qui n’ait ses antécédens, à rétablir, impitoyablement et intégralement, la chaîne indéfinie des effets et des causes, qui sont elles-mêmes des effets.

Après avoir été, pendant quelques années, maître-adjoint à la City school, il passa comme professeur de latin à University Collège. En 1869, il venait de se marier (un peu tardivement pour un Anglais, mais les maladies et les examens avaient dévoré sa jeunesse) ; au cours de son voyage de noces, il reçut une lettre de M. Gladstone, qui lui offrait la succession de Kingsley dans la chaire d’histoire moderne à l’Université de Cambridge. Il accepta, et nous avons sa leçon d’ouverture. Ces discours-là sont, d’ordinaire, chargés de promesses, rayonnans d’optimisme. La première leçon de Seeley est dans une autre note ; elle est caractéristique par sa dédaigneuse modestie et son amère humilité. Il commença par rappeler que, dix-sept ans plus tôt, assis sur les