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supplications muettes pour le pas cédé à ceux qu’on craint de voir faiblir, l’appel des noms, les regards d’épouvante affolée, échangés à la première tête qui tombe…

Ce fut un des hommes qui, d’abord, parut sur la plate-forme : il se retourna vers la foule pour saluer : en hâte, il fut entouré, lié, basculé. Le couteau tomba ; déjà un autre était là, puis un troisième, puis une femme… ils montaient pour disparaître aussitôt par l’effet du mouvement de bascule que leur imprimait la planche. Le reste de l’opération était masqué par le groupe des aides ; la chute régulière du triangle annonçait seule qu’elle se consommait : il remontait, vite épongé, et retombait lourdement, à intervalles égaux, avec une régularité de mâchoire : à chaque coup, le panier s’emplissait de têtes roulantes ; à droite de la bascule, le tas de corps tronqués haussait…

Pontavice mourut le dernier : l’exécution avait duré douze minutes.

Tandis que les charrettes prenaient le chemin du cimetière de la Madeleine, la foule se dispersait en discutant : les gens comme il faut, notait l’espion du ministre Garat, péroraient fortement, longuement, sur cet événement. Les gens du peuple et surtout les femmes disaient de la grande demoiselle : Ah ! comme elle avait une belle peau ! comme elle avait les cuisses blanches ! parce que son jupon s’était accroché lorsqu’on l’avait jetée sur le monceau ensanglanté.


X. — CHÉVETEL GLORIFIÉ

L’épilogue de ces choses n’était pas moins tragique que le drame lui-même. Ces têtes fauchées, ces gens supprimés en pleine force d’âge et d’action, laissaient des foyers dévastés, des familles sans soutien. Combien chacun des arrêts de mort prononcés par le tribunal représente-t-il d’existences brisées ? Que de projets d’avenir anéantis ! que de bouleversemens, que de ruines, quel chaos ! La révolution passa sur la société comme le soc d’une charrue dans une fourmilière.

Aucune famille bretonne ne se trouvait plus atteinte que celle de la Guyomarais. Le père et la mère venaient de perdre la vie sur l’échafaud ; des sept enfans qu’ils avaient en 1793, trois des fils étaient émigrés, Joseph, Edouard et Félix : le premier fut tué à Quiberon ; le dernier, lieutenant à l’armée des Princes, fut fait