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attendu que, eux morts, il pourrait difficilement se faire payer les prétendus services qu’il leur avait rendus, Lalligand promettait de tout tenter pour « sauver au moins les femmes ». Il jouait si parfaitement la comédie du désintéressement que, plus tard, Mme de Virel assurait que « son dévouement ne s’était pas un seul instant ralenti ». En outre, des bruits vagues circulant dans Paris parvenaient jusqu’aux détenus. On assurait que les administrateurs du département avaient été informés d’une assemblée tenue à l’hôtel de Toulouse, rue des Vieux-Augustins, par quelques Bretons accourus pour tenter la délivrance de leurs compatriotes. Les journaux annonçaient que ces conjurés devaient « ou distribuer de l’argent aux juges et jurés », ce qui n’impliquait pas une très haute opinion de l’intégrité de ces magistrats », ou séduire les gendarmes ; en désespoir de cause, ils comptaient employer la force.

Ces rumeurs entretenaient la confiance des prisonniers et c’est sans trop de crainte qu’ils voyaient approcher le jour du jugement. Le tribunal criminel extraordinaire, — on ne disait pas encore le tribunal révolutionnaire, — n’avait pas, d’ailleurs, à cette époque, le terrible renom que lui valurent par la suite les fournées de l’an II. Il n’avait prononcé, depuis le jour de son institution, qu’une vingtaine de condamnations capitales, et le grand nombre des complices de la Rouerie permettait d’espérer que les juges hésiteraient, soit à faire un choix parmi les coupables, soit à les livrer tous ensemble au bourreau.

Le 24 mai, les Bretons avaient été transférés à la Conciergerie, et, le 3 juin au soir, on les avertit qu’ils comparaîtraient le lendemain devant le tribunal. Le 4 juin, après la lecture de l’acte d’accusation et sur la demande des avocats des accusés, la cause fut remise au 7 juin, mais ce fut seulement le mercredi 12 que les débats s’engagèrent définitivement.

A neuf heures du matin, l’audience fut ouverte : une foule compacte de curieux remplissait le prétoire public. Le tumulte fut grand quand parurent les vingt-sept accusés : leur placement sur les bancs prit un temps assez long, on fit à M. de la Guyomarais les honneurs du fauteuil ; ainsi appelait-on, par ironie, la sellette ou siège élevé sur lequel s’asseyait ordinairement le principal coupable. Sur le premier banc prirent place Mme de la Guyomarais, ses enfans et ses domestiques ; les dames de Virel et leur oncle occupaient la seconde banquette ; Thérèse de Moëlien, dont l’air de jeunesse et la beauté attiraient les regards fut mise au