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huit prisonniers, parmi lesquels bon nombre des paysans de Sougeal, qui, en mai 1792, étaient accourus à l’appel du marquis, précédaient la voiture où avaient pris place le comte de Ranconnet-Noyan, sa fille et le fidèle Clavet qui continuait à magnétiser son maître chaquematin avec la même conviction qu’à la Mancellière. Mme de Sainte-Aulaire avait confié son fils à une de ses amies, Mme de Malherbe, qui, le même jour, partait pour Paris.

Nous ne nous arrêterons pas aux incidens de la route, incidens éminemment pittoresques pourtant, mais dont le détail pourrait lasser la patience des lecteurs. Qu’il nous suffise de dire que Mme de Sainte-Aulaire fit preuve d’un tel dévouement à son père qu’elle parvint à adoucir la brutalité des conducteurs du convoi. Elle s’assura la bienveillance du commandant de l’escorte, jeune terroriste, cumulant les fonctions incompatibles, semble-t-il, de maître de danse et de lieutenant de gendarmerie. Elle obtint que le comte de Noyan pourrait chaque soir descendre à l’auberge, et éviter ainsi l’odieuse promiscuité des cachots où l’on entassait ses compagnons de route. Le vieux gentilhomme se laissait faire, maugréant contre sa fille, regrettant Leroy, et compromettant à chaque relais, par sa mauvaise humeur, les efforts que faisait Mme de Sainte-Aulaire pour lui attirer la déférence des soldats.

Mais il fallait pourvoir aux dangers qui attendaient le prisonnier à Paris. En y arrivant, il allait se trouver sous le coup d’un acte d’accusation rédigé d’avance, et si, par malheur, Fouquier-Tinville était avisé de son entrée dans l’une des prisons dont il était le maître absolu, c’était, pour Noyan, la mort dans les vingt-quatre heures. Il est vrai que les seules pièces à conviction qui pussent lui être opposées étaient entre les mains de Lalligand qui attendait à Paris Mme de Sainte-Aulaire pour les lui vendre. Celle-ci se décida donc à se séparer de son père : elle prit la poste à Alençon afin de le devancer de deux ou trois jours.

Après quelques démarches infructueuses, elle échoua chez cet avocat Vilain de Lainville qui s’était chargé de la défense des dames Desilles devant le tribunal révolutionnaire, et qui passait pour exercer sur Fouquier-Tinville une certaine influence. Vilain ne cacha pas à Mme de Sainte-Aulaire que Noyan était perdu si son séjour se prolongeait à la Conciergerie, et que Fouquier-Tinville « ne l’en ferait pas sortir pour des complimens… mais que si elle voulait confier à lui, Vilain, 6 000 francs, il les porterait