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Noyau et Leroy y étaient compris et l’accusateur public requérait contre eux la peine capitale. Quand les deux prisonniers arrivèrent à Rennes, c’était donc une question de vie ou de mort d’y obtenir un répit de quelques semaines.

Sous prétexte que son père était épuisé de fatigue et hors d’état de se mettre en route, Mme de Sainte-Aulaire obtint qu’il ne partirait pas le lendemain ; le lendemain, elle gagna encore un jour, puis un autre ; il ne fallait pas demander davantage à la fois ; les certificats des médecins, renouvelés chaque matin, attestaient que le malade n’arriverait pas vivant à la première couchée et mettaient ainsi à couvert les autorités locales.

Leroy, que l’asthme ne condamnait pas, comme son maître, à la résignation, prit le parti, un peu égoïste, mais fort sage, de ne pas attendre plus longtemps le bon plaisir du gouvernement. Il occupait, avec son compagnon, une petite chambre tout en haut de la Tour-le-Bat. Avec une force et une adresse prodigieuses, dans le cours d’une seule nuit, il perça dans la muraille de sa prison un trou de la mesure de son corps ; au bout de ses draps il attacha des cordes, descendit au fond du fossé et remonta de l’autre côté où des amis l’attendaient. Le soir même, il avait rejoint une bande de Chouans et échangeait des coups de fusil avec les avant-postes de l’armée républicaine.

M. de Noyan, resté dans la prison et couché dans le fauteuil qui lui servait de lit, attendit l’heure à laquelle les porte-clefs venaient chaque matin ouvrir la porte. L’alarme fut grande à la nouvelle que Leroy s’était évadé ; aux interrogatoires qu’on lui fit subir le comte répondit avec un imperturbable sang-froid qu’il n’avait contribué en rien à l’évasion de son compagnon de chambre ; qu’à la vérité il l’avait vu travailler toute la nuit à percer la muraille et attacher des cordes à ses draps de lit ; mais qu’il n’avait eu ni la volonté ni les moyens de s’opposer à ces opérations et qu’il n’avait même pas bougé du fauteuil où une cruelle attaque d’asthme l’avait retenu.

Carrier, qui faisait ce jour-là son entrée à Hennés, prit mal la plaisanterie : sur le rapport qui lui fut adressé de l’évasion du prisonnier, il donna l’ordre de diriger dès le lendemain « le vieux Chouan Noyan » sur Paris où le Tribunal en rendrait bientôt bonne justice.

Il fit partie d’un convoi destiné à former la seconde fournée des complices de la Rouerie : deux charrettes contenant chacune