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journaux du 21 mai, transporter 2 800 tonnes de charbon en vertu d’un contrat avec l’Espagne sans s’exposer à une capture. Il est à peine utile de faire ressortir l’importance de cette solution.

En outre il y a lieu de remarquer que le président Mac Kinley n’a pas assimilé, dans sa déclaration, le charbon à la contrebande de guerre ; il s’est contenté d’en prohiber l’exportation (22 avril 1898).

Or le correspondant du Daily Chronicle à Washington a déclaré, le 14 mai, que, d’après ses renseignemens particuliers (dont l’exactitude est d’ailleurs problématique), si les autorités françaises de la Martinique « offraient des facilités » pour donner du charbon à l’escadre espagnole, les États-Unis regarderaient ce procédé comme un acte « anti-amical » (unfriendly), engageant la responsabilité de la France. Tâchons de mieux poser la question, car il n’y a rien de plus difficile à résoudre qu’une question mal posée. Que signifient les mots « offrir des facilités » ?

Il est certain que le gouvernement français n’aurait pas le droit, quoique s’étant abstenu de classer le charbon parmi les articles de contrebande, de laisser organiser, dans une de ses colonies, des stations ou dépôts de houille pour l’usage d’un belligérant. Il y aurait, dans une pareille façon d’agir, abus du territoire neutre. Or c’est, au premier chef, un abus de territoire que de laisser installer des stations ou dépôts non seulement de munitions, mais de provisions, propres à faciliter le ravitaillement des forces belligérantes pour la guerre. Il est non moins certain que de simples particuliers appartenant à la nationalité française peuvent faire, à titre individuel, des fournitures de houille à l’un des belligérans ; ils pourraient faire au même titre, avons-nous dit, des fournitures d’armes ! A plus forte raison, le gouvernement français ne peut-il pas s’immiscer dans l’expédition d’une marchandise que ni la France ni les belligérans eux-mêmes n’ont classée parmi les articles de contrebande[1].

Toutefois, si notre gouvernement se transformait lui-même, au profit d’un des belligérans, en fournisseur de houille, on pourrait lui reprocher d’accorder, sous une forme déguisée, un

  1. « Le commerce des charbons est en lui-même permis aux neutres, même lorsque ces charbons sont destinés à des navires de guerre. » (Bluntschli, Règle 763, II. 5.) « Il est généralement permis de faire les réparations indispensables un navire et à ses canots, de prendre de l’eau, des provisions et du charbon ; les déclarations de neutralité récentes restreignent parfois cependant le charbon à la quantité nécessaire pour un temps déterminé. » (Perels, Manuel de Droit maritime international, trad. A rend t, p. 243.)