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La détermination uniforme de cette contrebande eût dissipé tant d’incertitudes et prévenu tant de captures inutiles ou frustrations ! Voilà la réforme que le commerce maritime des deux mondes appelle de tous ses vœux.

Catherine II l’avait tentée, d’accord avec le gouvernement français, dans sa mémorable déclaration du 9 mars 1780. Après avoir expliqué, dans un vigoureux préambule, qu’elle entendait affranchir le commerce de toutes les nations neutres par tous les moyens compatibles avec sa dignité comme avec le bien-être de son peuple et, pour atteindre ce but, exposer à l’Europe des principes fixes, d’ailleurs « consignés dans le droit primitif des nations », elle annonçait sa résolution de se conformer, quant à la détermination de la contrebande, aux articles 10 et 11 de son traité de commerce avec la Grande-Bretagne, « en étendant ses obligations à toutes les puissances en guerre ». Or le traité anglo-russe du 20 juin 1766, après avoir autorisé les sujets des deux hautes parties contractantes à transporter, « à l’exception des munitions de guerre, toutes autres sortes de marchandises, ainsi que des passagers, sans le moindre empêchement » (art. 10), contenait (art. 11) cette énumération restrictive : « tous les canons, mortiers, armes à feu, pistolets, bombes, grenades, boulets, balles, fusils, pierres à feu, mèches, poudre, salpêtre, soufre, cuirasses, piques, épées, ceinturons, poches à cartouches, selles et brides, au-delà de la quantité qui peut être nécessaire pour l’usage du vaisseau ou au-delà de celle que doit avoir chaque homme servant sur le vaisseau et passager, seront réputés munitions ou provisions de guerre et, s’il s’en trouve, ils seront confisqués selon les lois, comme contrebande ou effets prohibés… » La déclaration de 1780 échappe donc au reproche que le professeur autrichien Neumann adressait il y a vingt-trois ans à la déclaration de 1856 ; elle ne laisse rien dans le vague. C’est, ainsi que je l’expliquais en 1894 à l’Académie des sciences morales et politiques, qu’il fallait à tout prix, au Congrès de Paris, obtenir l’adhésion de l’Angleterre et que Catherine, sans renoncer à l’obtenir tôt ou tard, commençait par s’en passer. L’Angleterre avait toujours essayé, depuis son traité du 17 septembre 1625 avec la Hollande, de donner aux mots « contrebande de guerre » un sens extensif, tandis que la France s’était attachée, surtout depuis le traité des Pyrénées, à faire prévaloir un avis contraire dans la jurisprudence internationale. Si les principes de 1780 l’avaient emporté, la