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D’abord il est hors de doute que l’Espagne, les États-Unis et le Mexique ont pu, dans la plénitude de leur indépendance, s’abstenir de participer à la déclaration. L’amour de la patrie espagnole fut assurément le mobile de l’Espagne. Elle crut, non sans quelque raison, que l’abolition de la course favoriserait les plus forts aux dépens des puissances maritimes secondaires : un de ses publicistes autorisés, Ignacio de Negrin, commissaire de la flotte et chef de bureau de l’amirauté, soutint encore en 1873, dans son Traité de droit international maritime, que la course était une « émanation » du droit naturel de défense. M. Buchanan, ministre américain à Londres, avait employé le même argument en 1854 : « Supposons, disait-il à lord Clarendon, une guerre avec l’Angleterre : ses forces navales en bâtimens de guerre étant de beaucoup supérieures à celles des Etats-Unis, le seul moyen praticable de balancer quelque peu cette supériorité numérique serait de convertir en corsaires ceux de nos bâtimens marchands qui pourraient être employés à la guerre. » Les Etats-Unis se placèrent un peu plus tard, il est vrai, sur un autre terrain. S’ils résistaient à l’abolition de la course, c’est qu’elle était à leurs yeux une demi-mesure. Il fallait, à les en croire, aller jusqu’au bout, c’est-à-dire exempter la propriété particulière ennemie de toute saisie sur l’Océan par les croiseurs des belligérans. Ils voulaient tout ou ne voulaient rien, et, comme on ne leur céda point, ils ne cédèrent pas. Bien plus, le président Buchanan fit un pas en arrière : dans une lettre adressée à la Chambre de commerce de New-York, il finit par déclarer qu’il faudrait, pour obtenir l’adhésion de son gouvernement, accorder non seulement l’inviolabilité de la propriété privée sur mer, mais encore l’interdiction du blocus des navires marchands dans les ports.

Mais le refus des Etats-Unis, de l’Espagne et du Mexique allait-il dégager les quarante et une puissances signataires ? On le soutint à plusieurs reprises au Parlement anglais, surtout le 3 mars 1877. Cependant les champions de cette thèse n’obtinrent jamais soit dans l’une, soit dans l’autre Chambre la majorité des suffrages. Disraeli, dans l’opposition, après avoir qualifié de « suicide politique » l’œuvre du Congrès, proclama, le 21 avril 1871, que la dénonciation du traité jetterait « un rayon de lumière sur un des points les plus sombres de l’histoire britannique » ; mais Disraeli, ministre, ne dénonça rien. Sir W. Vernon Harcourt en Angleterre, Hautefeuille en France, l’un et l’autre adversaires de la déclaration, furent obligés de convenir que les signataires