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jaugeant 2 358 577 tonnes[1], riche proie pour les corsaires, à la condition qu’il y ait encore assez de corsaires espagnols pour entrer en lice et porter des coups sensibles à la marine américaine. En effet, nous sommes bien loin de l’époque où Louis XIV délivrait des lettres de marque aux flibustiers et aux boucaniers qui dévastèrent les mers du sud, où la Hollande utilisa la sauvage ardeur des gueux de mer. S’il est inexact que les corsaires n’aient pas été employés en temps de guerre depuis 1856, comme M. Balfour l’a dit à la Chambre des Communes le 12 mars 1898, la course est néanmoins, pour nos contemporains, un anachronisme.

Cependant l’Espagne, en annonçant qu’elle concédera, le cas échéant, des lettres de marque, use d’un droit incontestable. Il faut, pour déterminer avec quelque précision cette situation juridique, revenir à ce Congrès de Paris qui résolut, il y a près d’un demi-siècle, au moins pour quelques années, la question d’Orient et régla sur quatre points fondamentaux le droit de la guerre. En 1856, sept puissances proposaient et trente-quatre États des deux mondes acceptaient, — outre l’immunité soit de la propriété ennemie sous pavillon neutre, soit de la propriété neutre sous pavillon ennemi (la contrebande de guerre exceptée) et la suppression des blocus fictifs, — l’abolition de la course. Cependant trois puissances maritimes, l’Espagne, les Etats-Unis, le Mexique, refusaient de sanctionner ce nouveau pacte. D’autre part, plusieurs des signataires eux-mêmes ne signaient qu’à contre-cœur. M. Drouyn de Lhuys a rappelé, dans un mémoire lu à l’Académie des sciences morales le 4 avril 1868, que la France avait dû tout d’abord, pour désarmer la résistance et lever les scrupules de l’Angleterre, insister sur le caractère temporaire de cette concession, quoique, dans la pensée de notre gouvernement, ce régime « en apparence transitoire » fût destiné « à se perpétuer par la force même des choses et d’un consentement unanime ».

C’est pourquoi les auteurs du questionnaire dressé pour l’Institut de droit international dans les travaux préparatoires à la session de la Haye (1875) crurent devoir poser encore la question suivante : « La déclaration de 1856, combinée avec les actes et les traités antérieurs, a-t-elle eu pour effet de faire entrer dans le domaine du droit des gens positif l’abolition de la course ? » Or cette question est complexe.

  1. Abstraction faite des petits bateaux (barges et canal boats). En les ajoutant, on atteint le chiffre de 22 633 navires, jaugeant 4 769 020 tonnes.