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qu’au-dessous de 2 500 francs de revenu, ils ne paieraient aucun impôt direct, en ajoutant que, dans chaque commune, il y avait tout au plus deux ou trois propriétaires qui atteignissent cette immense fortune. Les plus hardis, après avoir promis aux paysans qu’ils ne paieraient plus d’impôts, ajoutaient qu’on leur donnerait des pensions de retraite quand ils atteindraient le seuil de la vieillesse. Pour ce qui est du service militaire, il s’en faut malheureusement qu’il soit populaire dans nos provinces. Le vieil esprit de France, hélas ! se perd. Supprimer les inégalités entre ceux qui font un an et ceux qui en font trois en ramenant tout le monde au chiffre égalitaire de deux ans, était une arme trop commode entre les mains des radicaux pour qu’ils se privassent d’en user. Aussi ne s’en sont-ils point privés. Ces promesses d’une basse démagogie devaient naturellement faire de l’effet sur des foules ignorantes, cupides et envieuses, surtout lorsqu’elles les entendaient pour la première fois. Mais pendant que les champions obscurs du parti tenaient ce langage, celui des chefs commençait à être bien différent. Nous ne savons plus très bien aujourd’hui quel est le chef du parti radical. Est-ce M. Bourgeois ? On l’acclamait naguère avec enthousiasme. L’événement l’avait porté, bon gré mal gré, à la tête d’un parti qui n’était pas tout à fait le sien. Dès lors, il avait dû le suivre. Quoiqu’il soit doué d’un esprit très souple, M. Bourgeois ne s’est pas encore bien assimilé les questions financières, et peut-être n’y parviendra-t-il jamais complètement. Pour ce qui est des questions sociales, il est convaincu qu’on parvient toujours à les résoudre avec de la bonté, et, comme il se sent très bon, aucune de ces questions ne l’effraie. Il a écrit un petit livre intitulé Solidarité, qui révèle naïvement cet état d’âme. Ainsi armé pour la lutte, on comprend que M. Bourgeois ait confié à M. Doumer la rédaction de son programme financier, et de là est sorti le fameux projet d’impôt sur le revenu, global et progressif. La fortune de ce projet a été des plus cahotées ; il a effrayé la dernière Chambre ; il a épouvanté la majorité du pays ; aussi a-t-on vu ses partisans se cantonner de plus en plus dans la question de principe, et se montrer de plus en plus concilians au sujet de l’application. Ils ont déjà commencé, et ils continuent une évolution au terme normal de laquelle, s’ils vont jusque-là, on ne reconnaîtra plus le principe même de leur projet. Qu’est-ce, en effet, que l’impôt global ? M. Doumer protestait le premier contre ce qualificatif qu’il trouvait d’une langue détestable ; mais il a eu beau protester, le qualificatif est resté, le bon sens populaire ne le considérant pas, en somme, comme plus incorrect, ni plus mauvais que ce qu’il signifiait. L’impôt global