indications bibliographiques, et que pas une fois il ne mentionne les sources étrangères où il a puisé. Force m’est donc de m’en rapporter là-dessus au jugement d’un des critiques anglais les plus autorisés, M. H. D. Traill, qui d’ailleurs paraît tenir en très haute estime l’effort de vulgarisation de M. Brandes. « Industrieux, consciencieux et presque toujours judicieux, nous dit ce critique, M. Brandes a condensé tout ce que nous pouvons connaître de la vie de Shakspeare, de sa parenté, de ses relations avec ses contemporains ; et à prendre son livre pour un epitome des travaux antérieurs, on ne saurait qu’en être satisfait. Mais il n’y faut chercher rien d’original. Quand l’auteur veut sortir des chemins battus, il perd pied aussitôt, ou s’égare dans l’absurde. Et cela dans toutes les parties de son livre, qu’il parle de l’Angleterre au temps de Shakspeare, des prédécesseurs et contemporains du poète, de l’histoire intérieure et extérieure de son temps. »
Et cependant M. Brandes n’est pas sans avoir ajouté quelque chose de lui-même à ce que lui ont fourni les travaux de ses devanciers. Son livre contient toute une partie qui incontestablement lui est personnelle, une partie où il « sort des chemins battus ». De cette partie, M. Traill ne nous dit rien : peut-être est-ce celle où, suivant lui, le critique danois a tout à fait perdu pied. Mais c’est celle, aussi, dont j’imagine que M. Brandes se sent le plus fier ; et si dans le reste de son livre, il ne s’est guère soucié d’être original, c’est peut-être parce que cette partie-là était la seule qui lui tînt à cœur, la seule qu’il jugeât digne d’un penseur et d’un « créateur ».
On ne tarde pas à s’apercevoir, en effet, à la lecture de son livre, que l’analyse, l’interprétation, l’étude littéraire des pièces de Shakspeare ne sont point l’objet principal qu’il s’est proposé. Il y a mis toute la conscience et tout le soin d’un compilateur infiniment adroit : mais ce n’était pour lui qu’une tâche, ou le moyen d’atteindre une fin plus haute. Et cette fin qu’il voulait atteindre, il nous la laisse clairement entrevoir à la dernière page de son livre, quand, en manière de conclusion, il nous dit que « Shakspeare n’est pas un ensemble de 36 pièces et de quelques poèmes, mais bien un homme, un homme qui a senti et pensé, joui et souffert, rêvé et créé. » Après quoi il ajoute :
Trop longtemps on a dit : nous ne savons rien de Shakspeare, ou bien : ce que nous savons de lui peut tenir en une page. Trop souvent on a affirmé que Shakspeare planait, impersonnel, au-dessus de son œuvre. Et ainsi on en est arrivé à ce point, qu’une bande de méchans fantaisistes d’Europe et d’Amérique ont osé contester à William Shakspeare la paternité de ses œuvres, et transporter à un autre homme l’honneur de son génie. Or,