chariots s’avançaient lentement, entourés d’une troupe d’hommes déguenillés et de femmes ivres, alléchés par l’espoir d’une réception semblable à celle faite, huit mois auparavant aux prisonniers d’Orléans. On parvint cependant sans encombre aux Quatre-Bornes et l’on franchit le carrefour de sinistre mémoire où avait eu lieu la tuerie. La foule s’accroissait sans cesse ; l’agitation devenait plus vive ; on criait : « A la Mairie ! A bas les têtes ! » Lalligand et Sicard, craignant qu’un seul coup de fusil ne fût le signal du massacre, ordonnèrent à leurs hommes de se réfugier dans la cour de la Mairie : derrière les chariots, on ferma les grilles, et les prisonniers furent introduits dans la salle où délibéraient les municipaux. Devant ces magistrats débraillés, pris de vin, insolens, « troupe immonde qui tenait à la fois du bourreau, du laquais et du parvenu », les Bretons subirent un interrogatoire et la municipalité décida que « pour satisfaire au désir du peuple, on allait les promener dans Versailles ». Les malheureux, certains que leur dernière heure était venue, durent se soumettre à cette ignoble parade. Chacune des dames fut obligée de prendre le bras d’un municipal, paré de ses insignes : les hommes parurent enchaînés, accompagnés chacun d’un gardien chargé de le tenir en laisse. Un grand nombre de fonctionnaires, d’officiers même, vinrent grossir le cortège qui, pendant plusieurs heures, parcourut les avenues et les places de Versailles sous un déluge de menaces et d’injures obscènes. A la tombée de la nuit, on les conduisit à la vieille geôle : hommes et femmes furent entassés dans le même cachot, où ils espéraient, du moins, prendre un peu de repos ; mais point : ils entendirent pendant toute la soirée le bourdonnement lugubre de la foule qui, massée devant la porte, réclamait la proie dont la vue l’avait mise en goût ; et, dans l’intérieur de la prison, le guichetier, affolé, en proie à un tic nerveux et effrayant, agitait sans cesse son bruyant trousseau de clefs en répétant : « On a fait de même aux prisonniers d’Orléans : ils vont vous massacrer comme les prisonniers d’Orléans !… » Ce geôlier avait été témoin des massacres de septembre, et en était resté frappé au point qu’au seul souvenir de ces scènes d’horreur, il tombait en convulsions.
Enfin, au milieu de la nuit, la terrible odyssée s’acheva ; le convoi, prit la route de Meudon et par l’interminable route de Vaugirard entra dans Paris et vint s’échouer à la porte de l’Abbaye.