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curieusement. Arrivé aux chênes, le jardinier désigna d’un geste le houx qu’il avait lui-même planté sur la tombe. Il y eut quelques minutes d’hésitation : qui allait ouvrir la fosse ? Lalligand s’adressa à deux paysans qui s’étaient rapprochés : ils consentirent. Pendant qu’ils cherchaient des outils, quatre cavaliers, crottés jusqu’aux yeux, pénétrèrent dans le bois, descendirent de leurs montures, et, fendant le cercle des curieux, marchèrent vers Lalligand qui les regardait, assez surpris : il se remit vite, ayant reconnu deux d’entre eux pour être les citoyens Marjot, administrateur, et Grolleon, procureur syndic du district de Lamballe, avec qui, l’avant-veille, il avait concerté son expédition ; ceux-ci lui présentèrent les autres : d’abord le citoyen Olivier Ruperon, administrateur du directoire du département des Côtes-du-Nord, accouru de Saint-Brieuc, où il avait appris que deux commissaires de la Convention opéraient à la Guyomarais une perquisition ; le quatrième était un étudiant en médecine, le citoyen Carillet, fils d’un chirurgien de Plancoët : la rumeur publique l’avait averti de l’exhumation projetée et il venait se mettre à la disposition des commissaires.

Il serait répugnant d’insister sur certains détails : le procès-verbal d’exhumation est, par lui-même, d’un réalisme si précis que nous devons nous borner à le citer textuellement. Après quelques coups de pioche, le lit de chaux apparut et l’on découvrit le cadavre que les hommes sortirent de la fosse et déposèrent sur le sol : le citoyen Carillet s’approcha.


Ce corps, d’après ses observations, avait une taille d’environ 5 pieds deux pouces et demi, front haut, peu de cheveux de couleur châtains, une barbe brune et fort longue, mais qui se séparait d’avec l’épiderme de même que les cheveux de la tête, une bouche enfoncée, menton long, le nez aquilin, sur le sourcil droit une tumeur connue sous le nom de loupe et d’une grosseur d’une noix, une cicatrice à la lèvre inférieure du côté droit, les dites loupes et cicatrices ayant presque entièrement disparu par la putréfaction. Ledit cadavre, d’une couleur brune et violette ayant une odeur fort fétide et à chaque bras une incision ou taillade longitudinale, des incisions semblables en diverses parties du cadavre ; un bandage en basine sur la jambe, annonçait qu’on avait appliqué un vésicatoire : ledit Carillet nous a également fait observer que l’état de décomposition où se trouvait ce cadavre qui depuis à peu près vingt jours était inhumé, et recouvert de chaux n’a pas permis de faire une description exacte et méthodique des viscères, ceux contenus dans le ventre étaient dans l’état du dernier degré de putréfaction. D’après toutes ces observations que nous a faites Carillet, nous susdits commissaires et juge de paix, attendu les inconvéniens majeurs qui auraient résulté du transport dudit cadavre étant en putréfaction complète, nous