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d’en ramener au plus vite Morel et Taburet. Loisel saute en selle, se lance sur le chemin de Landébia, se dirigeant vers Saint-Servan où habite un médecin de grand renom dans la contrée, appelé Lemasson et qui compte parmi les amis de l’association. En quatre ou cinq heures, Loisel parcourt les dix lieues séparant la Guyomarais de Saint-Servan, frappe à la porte du docteur qui monte aussitôt à cheval et, précédé de son guide, prend la route de Château neuf : tous deux passent la Rance à Jouvente, coupent la lande de Pleurtuit, traversent Ploubalay, se détournent pour éviter les maisons du bourg de Plancoët où leur passage pourraient intriguer les patriotes, et arrivent à la Guyomarais avant le jour. Taburet et Morel étaient déjà là : le délire n’avait pas diminué ; le marquis poussait des cris sans suite, se jetait hors du lit, luttait contre ses amis dont les efforts parvenaient à peine à le contenir, puis retombait dans une prostration plus effrayante encore que sa fureur : une fièvre cérébrale s’était déclarée.

Cette terrible agonie se prolongea pendant deux jours pleins : Taburet et Morel, comprenant que leurs soins étaient inutiles, se retirèrent le 29 au matin : Lemasson, sur la prière de Mme de la Guyomarais, ne quitta pas le château et prit à peine quelques heures de repos. Dans la nuit du 29 au 30, vers trois heures du matin, exténué de fatigue, il s’était jeté sur le lit de M. de la Guyomarais, priant qu’on lui servît une tasse de thé : il sommeillait quand, à cinq heures, le domestique entra dans la chambre, portant la théière.

— Eh bien ? interrogea le docteur.

— Monsieur est mort, fit simplement le domestique.

Le marquis avait rendu le dernier soupir à quatre heures et demie, sans avoir repris connaissance.

Nul récit ne peut rendre la consternation des habitans de la Guyomarais pendant les heures qui suivirent : ce proscrit qu’ils avaient aimé et recueilli était plus compromettant mort que vivant. A quelle autorité déclarer le décès de cet homme que toutes les brigades de gendarmerie cherchaient depuis six mois ? Comment avouer qu’on recelait le corps du fameux rebelle dont la tête était mise à prix ? Et si on s’abstenait de le faire, où enterrer le cadavre, par quel moyen le faire disparaître ? Il y eut là, pour M. de la Guyomarais, qui, non seulement, risquait sa tête, mais aussi celle de tous les siens devenus ses complices, une