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était une femme remarquable par son esprit, son éducation, ses connaissances littéraires ; bien qu’ayant eu neuf enfans, elle aimait le monde ; les la Guyomarais étaient riches d’ailleurs, avaient équipage, meutes, nombreux serviteurs ; ils habitaient ordinairement Lamballe pendant l’hiver et passaient la belle saison à leur château où ils se plaisaient à recevoir leurs nombreux amis.

Contrairement à leur habitude, et, sans doute, en raison des événemens qui se préparaient en Bretagne, ils n’avaient pas encore quitté la Guyomarais au mois de janvier 1793. Leur domestique, qu’ils renouvelaient souvent, se composait, à cette époque, — ce détail ne sera pas inutile, — de François Perrin, jardinier, à leur service depuis trois ans « à raison de trente écus par année et sa moitié dans la vente des légumes », de Henry Robin et de Julien David, valets de chambre, de Michèle Tarlet, cuisinière, et de Françoise Gicquel, servante de basse-cour.

M. de la Guyomarais comptait parmi les plus chauds partisans du marquis de la Rouerie : il lui avait déjà, à plusieurs reprises, offert l’hospitalité ; le proscrit avait séjourné, pendant deux jours, à la Guyomarais au commencement d’octobre 1792 : il y était revenu le 9 novembre et en était parti le 11 ; sachant trouver là des amis dévoués et une retraite sûre, il y passa encore quelques heures le 15 décembre.

À cette époque il parcourait le pays de Dinan, visitant les chefs de ses comités, changeant de refuge presque chaque nuit, se cachant pendant le jour, dormant parfois dans les bois, au pied des chênes, au fond des ravins. L’incroyable activité de cet homme étrange, la tenace ardeur qu’il apportait à l’accomplissement de son œuvre, et plus encore, peut-être, l’habileté avec laquelle il déjouait toutes les poursuites, ont laissé dans cette partie de la Bretagne des souvenirs que le temps n’a pas effacés. Les circonstances romanesques du drame qui termina sa destinée n’ont pas peu contribué à son renom légendaire.


Le 12 janvier 1793, vers une heure du matin, les chiens de la Guyomarais se mirent à aboyer furieusement. M. de la Guyomarais ouvrit la fenêtre de la grande chambre du premier étage qu’il occupait avec sa femme ; la nuit était sombre et pluvieuse : il vit dans la cour du château, qu’aucune clôture ne fermait à cette époque, trois cavaliers tenant leurs chevaux par la bride.

— C’est moi, Gasselin ! cria l’un d’eux.